Il y a juste deux ans, le mariage entre ancienne et nouvelle économie devait donner naissance au «média global» et entraîner une formidable dynamique de croissance. On attend toujours.
Janvier 2000. Les géants AOL et Time Warner s’unissent pour engendrer une entité d’essence probablement divine. «Le média global», disent Steve Case, père du fournisseur d’accès AOL, et Gerald Levin, patron du groupe de presse, de cinéma, de musique et de télévision Time Warner.
La nouvelle entreprise doit – et c’est sérieux – «changer la face du monde». Pour l’investisseur, le conglomérat va entraîner synergies, croissance et cash. Le tout en restant convivial, social et respectueux de l’environnement.
Le catalyseur du miracle, c’est la convergence. Le rapprochement entre le contenu et le contenant. La complémentarité entre un article, un film, une chanson et les réseaux qui les véhiculent.
Janvier 2001. Les autorités américaines donnent leur feu vert à la fusion. Voilà réunis sous un seul toit quelque 32 millions d’internautes, Madonna, la chaîne d’information CNN, les séries «Sex and The City» et les «Sopranos», le magazine Time et les projets de films «Harry Potter» et «Le Seigneur des Anneaux».
Décembre 2001, le patron Gerald Levin annonce subitement son départ d’AOL-Time Warner. L’homme accuse durement la perte de son fils Jonathan, assassiné en 1997 par un gangster.
Les hommes d’AOL sont écartés de la succession, tandis que Steve Case reste président du conseil d’administration.
Richard Parsons est alors nommé à la tête du groupe. Ce businessman affable, souvent comparé à un teddy-bear, avait déjà mené à bien la fusion entre Time et Warner. Il rappelle aussitôt à ses côtés un vétéran des médias, Ted Turner. Le fondateur de CNN était en disgrâce auprès de la direction précédente.
Diplomate, drôle et décontracté, Richard Parsons est le premier businessman d’origine africaine-américaine à diriger l’une des 500 premières entreprises des Etats-Unis.
Aujourd’hui, grâce au réservoir d’abonnés d’AOL, le contenu de Time Warner s’affiche sur plus de la moitié des ordinateurs du monde industrialisé, selon l’institut Nielsen Netratings. Si la domination d’AOL est écrasante aux Etats-Unis, elle est en revanche beaucoup moins marquée en Europe.
Sur internet, les concurrents restent loin derrière. Le groupe Disney touche à peine 13% des internautes. Et seuls 9% des abonnés se connectent à un contenu Vivendi-Universal. Mais cela pourrait changer. Car Jean-Marie Meissier a attrapé une fièvre acheteuse.
Vivendi a acquis le site musical MP3.com, le site de jeux Uproar.com, le réseau TV satellite Echostar et le groupe de télévision American Networks. Sans oublier les perspectives ouvertes par les relations privilégiées entre Vivendi et le portail Yahoo.
Dans le domaine des réseaux, AOL trouve en Microsoft (MSN) un nouveau rival. Le groupe de Bill Gates se profile grâce à son alliance avec Comcast qui vient juste de souffler la division câble de ATT à la barbe d’AOL.
Malgré sa position de leader, AOL Time Warner s’achemine vers un premier exercice décevant. Les résultats ont souffert d’une croissance ralentie de la branche internet et de l’effondrement des dépenses publicitaires dans la presse.
Les promotions croisées entre anciens et nouveaux médias tardent à prouver leur efficacité. Quant à la diffusion de films et de musiques sur internet, elle reste marginale, faute de canaux de distribution adéquats.
«La transmission à haut débit est une condition nécessaire au succès de la convergence, mais elle n’est pas suffisante, estime Bruno Giussani, auteur d’un ouvrage sur la question («Roam»). C’est tout le langage de l’information et du contenu qui va changer, comme les modes d’utilisation et les habitudes des consommateurs. Il faudra du temps».
Si la complémentarité entre les deux entreprises tarde à faire ses preuves, Daniel Pellet continue à y croire. Cet analyste de Darier Hentsch relève qu’«une fusion ne déploie ses effets qu’après 12 à 18 mois. Aujourd’hui déjà, bon nombre de nouveaux lecteurs du Time ont souscrit un abonnement par l’intermédiaire d’AOL. Le potentiel est là.»
Analyste à l’Union Bancaire Privée, Laurenn Stillhard note que sur internet, la publicité pour les films fonctionne bien. De plus, «pour un groupe de communication, un pilier internet est un avantage car il élargit la distribution du contenu.»
Que janvier 2000 paraît loin. Il y a tout juste deux ans, c’était AOL qui s’offrait Time Warner pour 181 milliards de dollars payés en actions émises pour l’occasion. Le géant de la presse, de la télévision et du cinéma passait pour le vestige d’une ère révolue. Un fournisseur de contenu tout juste bon à se fondre dans le vaisseau amiral de la nouvelle économie.
Et puis, la bulle financière internet a éclaté et les rapports de force ont été bouleversés. AOL doit maintenant prouver qu’il n’est pas un simple poseur de câble pour les contenus de Time Warner.
