Sur la route des tunnels… C’est l’histoire d’une famille qui vivait dans une colonie de Cisjordanie et qui a décidé de lever le camp.
Polémique en Israël après la destruction massive, jeudi, de maisons palestiniennes par des bulldozers de l’armée. L’opération a laissé près de 500 sans-abri dans la bande de Gaza.
La veille, une attaque revendiquée par le Hamas avait fait quatre morts parmi les soldats israéliens.
Jour après jour, le conflit proche-oriental se poursuit dans le sang et la peur.
De Jérusalem, où elle vit, Caroline Coutau nous a envoyé cette chronique à propos d’une famille de colons qui a finalement décidé de quitter sa «Terre promise».
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Silvia est partie. Retournée à Los Angeles. Je l’ai appris incidemment. Elle n’a pas crié son départ sur les toits. Auparavant, pourtant, elle m’avait souvent parlé de son envie de s’en aller. Elle ne savait pas trop où. Mexique? Etats-Unis? Jérusalem-Ouest? Elle n’était pas bien là où elle vivait, avec ses quatre enfants et son mari. A Efrat.
Efrat est l’une des ces agglomérations juives que chacun appelle à sa façon, révélant aussitôt son orientation politique. Une colonie en Cisjordanie, une ville israélienne en territoires reconquis, une implantation juive, une bombe à retardement.
Pour se rendre de chez Silvia à Jérusalem, il faut prendre «la route des tunnels», qui passe par les territoires palestiniens en contournant Bethléem et Hébron. Le plus souvent, comme son nom l’indique, cette route est enterrée dans les montagnes de Palestine, sinon protégée par de grandes rambardes. Elle est large et bien faite. Depuis les hauteurs et les chemins cabossés des territoires, les tanzim palestiniens tirent ou jettent des pierres sur les véhicules israéliens.
Pour ses cours d’hébreu, qu’elle suivait trois matins par semaine à Jérusalem, Silvia s’arrangeait le plus souvent pour être dans le «camion»: un bus blindé à l’usage exclusif des colons. Un bus à l’épreuve des balles.
«En fait, c’est simple, j’ai peur de tout, tout le temps», résumait Silvia, riant d’elle-même. Outre le trajet Efrat-Jérusalem, elle incluait dans sa peur: la conduite agressive des Israéliens, les attentats, la crainte de ne pas comprendre les gens qui lui parlent et celle de ne pas être à la hauteur pour aider ses enfants dans un contexte étranger. «Et les enfants non plus ne se sentent pas vraiment bien, alors que nous sommes ici depuis dix-huit mois.»
Silvia le reconnaissait, c’était surtout son mari Samuel qui avait insisté pour quitter les Etats-Unis et venir s’installer «en Terre sainte».
«Moi, je n’adore pas Los Angeles, mais je m’y sentais à l’aise, disait-elle. J’y avais mes habitudes, mes amis, et je parlais la langue.» L’hébreu, à l’évidence, coûte à cette Mexicaine américanisée. «Tout est compliqué, tu comprends, chez le médecin, à la pharmacie, à l’école, à l’épicerie, au téléphone…»
Mais pourquoi Samuel a-t-il voulu vivre à Efrat? «Simplement parce que peu à peu, toute sa famille a quitté Los Angeles pour Israël. Parce qu’il s’est senti de plus en plus seul, et aussi parce que l’école des enfants devenait hors de prix pour nous.»
Silvia avait vingt ans quand elle a quitté Mexico et ses parents pour vivre avec son mari américain. Elle a du même coup abandonné une existence laïque pour adopter un mode de vie religieux. Je n’ai jamais vu ses cheveux. Elle les cache en général sous une casquette en jeans ou un chapeau de velours noir.
«Mais nous sommes des juifs orthodoxes modernes», répète-t-elle, l’air de dire «on n’est pas fous». «Par exemple, on va cinéma.» Ses enfants doivent pourtant suivre une yeshiva, une école religieuse. Et la yeshiva à Los Angeles, ça coûte, tandis qu’à Efrat, pas.
Quand nous parlions un peu plus avant, les jours d’attentats palestiniens, elle me demandait: «Toi, dis-moi pourquoi ils nous font ça, les Palestiniens?» Elle avait vite les larmes aux yeux et disait: «Je ne me sens pas coupable. Moi, je ne suis pas venue pour des raisons idéologiques, ni religieuses ni sionistes. Je ne veux pas que les Palestiniens vivent ce qu’ils vivent. Ce n’est pas juste.»
Silvia a trente-deux ans, elle est mère de famille, femme au foyer et rêve de suivre un jour des études. «Je ne sais pas encore de quoi». Elle supportait mal la tension de la région, la violence, l’agressivité permanente. Elle se sentait plus spectatrice et dépassée que responsable. Elle ne supportait pas de voir ses enfants devenir racistes. «Dieu sait les histoires qui circulent à l’école. Je ne sais pas ce qui est vrai et ce qui est inventé, et je ne veux pas le savoir, c’est trop moche.»
Et elle a fini par avoir le dessus. Sûrement sans en avoir l’air. Le dessus sur son mari, qui, lui, sans être un colon volontariste, ne comprenait qu’une seule des deux réalités.
Mais leur départ n’est pas pour autant un renoncement, une concession idéologique. Samuel ne trouvait pas de travail. Cela ne pouvait plus durer. Pour toutes ces raisons, les voilà de retour à Los Angeles.