Vingt-septième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.
Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le jeune Japonais, Tsutsui, monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. D’autre part, le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités. Contre le suspect qui se promène dans les neiges nocturnes, il prépare la contre-attaque.
Et pendant ce temps-là, Max, conférencier invité, se retrouve au lit avec la belle Frénésie, directrice de l’hôtel. Lire ici le début du récit.
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Chapitre 27.
Est-ce qu’elle dort, Frénésie? Ne sent-elle pas les doigts de Max sur son sein et son nombril contre ses fesses? Après quatre ans et demi sans faire l’amour, ne manifeste-t-elle pas davantage de hâte? Elle s’abandonne, rêve peut-être à son ancien amant.
Ou bien Max l’a déçue, elle a l’habitude du gros sexe d’un Texan ou d’un Noir. Ou bien, comme Max, elle a plus envie de tendresse que de se jeter l’un dans l’autre, l’un sur l’autre? Elle pousse un petit soupir de dormeuse, se recroqueville.
Tout doucement Max soulève le drap bleu, s’écarte d’elle, passe par dessus son dos, se retrouve de l’autre côté pour admirer son visage endormi. La lumière de la veilleuse donne à ses traits leur douceur, un calme souverain. Ses cils ne font aucun mouvement, son souffle s’échappe en rythme, du fond de son sommeil.
Toutes les femmes ne sont pas belles en dormant. Les traits des unes perdent toute expression. D’autres laissent entrevoir des proportions mesquines qui ne se remarquent pas tant qu’elles sont en mouvement. D’autres encore laissent planer comme l’ombre de la mort, stade ultime du sommeil.
Au contraire, Frénésie endormie présente l’image du bonheur, à peine assombri par une moue d’ironie. Max aurait envie de l’embrasser, mais craint de l’éveiller.
Que lui veut-il ce type, ce Tsutsui? Des Tsutsui, il y en a des milliers. Le commandant Moritz dit qu’il a fait un enfant à la nièce de Max, Vania vom Pokk.
Max n’a plus de contact avec sa famille, presque plus. Cette Vania, il se souvient de l’avoir vue à l’enterrement de son père. C’était il y a près de cinq ans. Vania avait emmené sur la tombe sa petite fille aux yeux bridés. Max avait cru comprendre qu’elles vivaient sans homme.
Il y a cette autre Tsutsui, celle que Frénésie dit connaître. Qu’il est petit, le monde! Une handicapée qui vivait à Nagasaki. Comme elle l’a décrite, ce pourrait être celle-là, ce ne peut être que celle-là. Le grand amour perdu de Max, celle qui lui avait fait signe de New York tandis qu’il courrait le marathon.
Donc cette femme-là est morte. Jamais il ne l’appelait par son prénom de Shizuko. Tout le monde disait l’Allemande, malgré son air complètement japonais. Donc l’Allemande est morte et il faut que Max apprenne ça aujourd’hui.
Elle avait peut-être un enfant de Max, dont il ne sait pas le nom, dont il n’a jamais rien su. Et aujourd’hui à minuit un flic l’appelle dans sa chambre d’hôtel pour savoir s’il connaît un certain Mirafiori Tsutsui.
C’est ça le système planétaire, ça rétrécit les distances, tous les liens familiaux. On se croyait éloigné, sans nouvelles, perdu à jamais. Et d’un coup, par recoupement, on se retrouve avec l’annonce de la mort d’un ancien amour.
Le système vous informe en outre que le type qui vous a craché sa haine hier soir depuis l’autre côté du cordon policier pourrait être votre fils.
Si des Tsutsui, il y en a des pages et des pages, le prénom Mirafiori, ça c’est une invention rare. C’était le nom de l’ancienne usine FIAT à Turin. Max était allé y distribuer des tracts avec l’Allemande.
Mirafiori, c’est d’abord le nom d’une princesse, un nom de femme porté par une usine. Et voilà que quelqu’un a donné ce nom à un enfant mâle. Ça ne peut être que l’idée de l’Allemande.
Mais puisqu’elle est morte, l’histoire pourrait s’arrêter là.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le vingt-huitième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.