CULTURE

Miss Kittin, l’ascenseur vers la gloire

Derrière les platines ou le micro, elle est l’une des rares femmes à s’imposer sur la scène électro. Elle séduit les foules les plus exigeantes. Et elle dit: «Je fais peur aux hommes». Interview.

Ces dernières semaines, Miss Kittin a été surexposée dans tout ce que le monde compte de revues branchées et de magazines tendance. Les photographes les plus sélectifs, comme récemment Wolfgang Tillmans et Karl Lagerfeld, lui ont demandé de poser devant leur objectif.

C’est que Miss Kittin, née Caroline Hervé il y a 28 ans à Grenoble, représente un nouveau «role model» pour les filles indépendantes. Sa personnalité originale force le respect sur la scène électro.

Elle est l’une des rares femmes DJ, mais pas seulement. Dans un univers musical dominé par les machines, elle a su imposer une voix humaine, la sienne, qu’on peut entendre sur le dernier disque d’une figure légendaire de Chicago, Felix Da Housecat, sur celui de Goldenboy et surtout sur l’album qu’elle vient d’enregister avec son partenaire The Hacker, dont la pochette la montre étendue sur le sol, sanglée dans un uniforme d’infirmière.

Précurseurs du renouveau eighties, Miss Kittin & The Hacker confirment avec cette collection de chansons tantôt hédonistes, tantôt dramatiques le succès de leurs premiers maxis. Sorti en 1998, leur titre «1982» était devenu l’hymne de la Love Parade, faisant danser plus d’un million de Berlinois.

Après plusieurs années passées à Genève, Miss Kittin est aujourd’hui établie dans la capitale allemande. Lors de la nuit du Réveillon, elle était de passage au Rohstofflager, club mythique de la nuit zurichoise. C’est là qu’elle a accepté de revenir sur son passé et sur une dernière année particulièrement mouvementée. Interview.

A tes débuts, tu t’es installée aux platines un peu par hasard, parce qu’un copain DJ t’avait mise au défi…

Miss Kittin: En fait c’est un heureux accident. A chaque moment clé de mon parcours, je pense à ce copain. Plus j’y réfléchis, plus je constate que les choses se sont mises en places très naturellement. C’est comme si j’avais été poussée dans cette voie par des forces occultes.

Tu ne vas pas virer new age…

Non, je reste une fausse blonde et je porte des bottines pointues, pas des sandales colorées. Simplement, ma vision des choses devient de plus en plus aiguisée. J’aime analyser les choses au fur et à mesure que j’avance. C’est ma force et ma faiblesse.

Veux-tu à l’avenir te profiler plus comme chanteuse que comme DJ?

J’ai pris ces derniers mois plus confiance en moi. Cela m’a poussé à développer des talents que j’ai progressivement découverts. J’ai l’envie de m’ouvrir à un plus large public, sans pour autant quitter l’underground. Le travail de mix me garde branchée sur l’actualité, sur les nouvelles sonorités. Les deux activités se complètent bien: plus j’aurai du succès avec mes productions, plus je pourrai choisir les clubs et les soirées.

Le fait d’être une femme a-t-il été un handicap lors de tes débuts en tant que DJ?

Pas du tout. Je n’a jamais eu à me plaindre de la scène. Le milieu techno est macho, mais pas plus que le reste de la société. C’est vrai que lorsqu’un mec voit une fille aux platines, il regarde avant tout si la personne est belle, si elle a de gros nichons, si elle est bien fringuée, si elle danse bien. C’est comme cela. Plutôt que de me scandaliser, je détourne à mon avantage cet état de fait. Je joue sur la féminité. Mais cela n’a pas été simple à mes débuts. Je portais les cheveux ras, je mixais en fringues militaires. Cela reflétait mon côté garçon manqué.

Cette acceptation de ta féminité se lit dans les paroles de tes chansons. On te présente même comme un sex-symbol de la techno. Comment le vis-tu?

Je suis un peu prise à mon propre piège. Le monde qui m’entoure est ma principale source d’inspiration et DJ Hell (patron de son label, International Deejay Gigolos) m’a un peu happée dans son trip sexy et glamour.

Tu n’as pas peur d’être enfermée dans cette image de Brigitte Bardot électro?

Ce n’est qu’une étiquette. Je ne suis pas l’affolée du cul dont parlent certains journaux. Cela m’a agacée au début, d’autant que cela venait de médias français qui jusqu’alors ne s’étaient jamais intéressés à notre projet. Plus personnellement, cette image interfère un peu dans mes amours. Je fais peur aux hommes. Les rares qui osent m’aborder y vont franchement et disent ensuite que je les ai agressés. Mais, je m’en fous. Je n’oublie pas que cette image m’a aussi décomplexée. Je porte aujourd’hui des hauts talons et des fringues sexy, même si je n’ai pas des mensurations de top model. Ces textes sensuels collent bien à la musique froide et mécanique de The Hacker ou de Felix da Housecat. Tu ne voulais pas que je parle de petites fleurs et d’amour à l’eau de rose. Ou plus platement encore de robots et de conquête de l’espace. Trop cliché.

Comment digères-tu le succès de tes productions?

Comme j’ai connu des bouleversements sur le plan privé, j’ai eu parfois du mal à traverser cette période très mouvementée. Depuis quelques semaines, je l’apprécie vraiment. J’ai la chance de ne pas affronter cela toute seule, mais de partager tout avec the Hacker.

Tu n’as pas l’impression de t’éparpiller en participant à tous ces projets différents?

Je trouve que c’est un privilège en tant que DJ de démarrer dans la production en virevoltant comme un papillon, en posant sa voix à droite à gauche. Je ne me suis pas éparpillée, j’ai butiné. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à dire non à un projet intéressant. Je viens de collaborer avec les Chicks On Speed.

Tu es l’une des égéries de l’électro. Mais le revival eighties va certainement passer. Comment vois-tu ton futur?

Nous avons toujours créé de façon spontanée, en composant simplement les morceaux qui nous plaisaient. Comme nous allons nous engager chacun dans des projets solos, notre univers va naturellement s’élargir. Comme par le passé, nous allons nous rejoindre épisodiquement dans le studio pour travailler sur des morceaux, lorsque l’envie sera là.

Le milieu musical français a attendu longtemps pour te reconnaître. Tu étais considérée comme un électron libre…

C’est une position privilégiée. Le phénomène eighties est venu sur le tard en France. Mais les artistes de la scène techno, comme Garnier ou Daft Punk, nous ont toujours soutenus. N’oublie pas que nous n’avions derrière nous que deux maxis avant cet album.

Aujourd’hui, les artistes les plus intéressants du panorama musical sont presque tous des femmes: Björk, PJ Harvey, Missy Elliot, Madonna, Ani di Franco. Ce sont pour toi des exemples?

Contrairement à toutes ces femmes, je ne viens pas de l’univers de la pop ou du rock, mais des raves et des clubs. Aujourd’hui, j’ai tout à faire. Et si je calcule bien mon coup, j’ai des chances de faire quelque chose d’intéressant. Simplement parce que je n’ai pas de références directes dans mon milieu.

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Miss Kittin & The Hacker, album sorti sur International Deejay Gigolos, distribution RecRec.

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Miss Kittin et Electric Indigo mixent le samedi 12 janvier 2001 à Genève, à Weetamix, route de Vernier 114. Dès minuit.

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Récemment, on a aussi entendu le phrasé sexy de Miss Kittin sur le premier album du groupe hip hop Detroit Grand Pubahs ainsi que sur la reprise de «Je t’aime, moi non plus» réalisée par Sven Väth.