CULTURE

«Le peuple migrateur»: ça vole bas

Je croyais que le film de Jacques Perrin nous emmenait dans un merveilleux voyage en oiseau. Qu’il donnait à rêver et à découvrir. Amère déception: c’est nul.

Quand j’ai vu la bande-annonce du «Peuple migrateur», j’ai d’abord été troublé. Ces oies sauvages saisies en plein vol, à quelques mètres de distance, m’ont fait penser à des images de synthèse ou à un habile trucage vidéo. J’avais l’impression que les oiseaux avaient été incrustés sur les paysages. Je n’arrivais pas à y croire.

Et puis, j’ai compris qu’il s’agissait d’un vrai documentaire à très gros budget. Que les volatiles avaient été apprivoisés dès la sortie de l’oeuf pour tolérer, lors de leurs vols collectifs, la présence passablement intrusive d’un ULM avec pilote, caméra et ronflement du moteur. Une vraie prouesse technique. J’étais impatient.

J’imaginais un documentaire planant et contemplatif, un trajet long courrier sur les ailes des cigognes avec l’horizon pour seul arrière-plan. Un voyage en oiseau comme si vous y étiez. Une sorte de simulation en 3D qui n’aurait pas été simulée mais saisie sur le vif pour montrer la nature sous un jour nouveau.

Autant dire que j’ai été déçu: le film est nul. Complètement raté, saboté par un montage en zapping, une musique visqueuse (Robert Wyatt dans un mauvais jour, avec Nick Cave en guest star) et un commentaire radin.

C’est d’autant plus rageant qu’on y découvre des dizaines d’images fascinantes. Mais à peine a-t-on eu le temps de suivre un battement d’aile que le réalisateur passe déjà à autre chose. Un peu comme si on vous forçait à goûter en deux minutes chrono toutes les friandises d’une confiserie. Pour les cousines de ces oies qu’on voit s’envoler, on parle de gavage.

Le film se présente en fait comme le «best of» (ou pire: la bande-annonce) de la série documentaire en 164 épisodes que les producteurs ne manqueront pas de vendre aux télévisions publiques pour rembourser leur investissement initial (deux fois plus cher qu’Amélie, dit-on).

Les images ont été assemblées selon le rythme d’un bêtisier de fin d’année. Elles entrent en concurrence et s’interrompent sans cesse, comme s’il fallait éviter à tout prix que le spectateur se mette à rêver.

Le spectateur ne rêve donc pas. Apprend-il au moins quelque chose? Même pas. Les quelques bribes de commentaire en voix off ne livrent aucune information, pas la moindre anecdote qui pourrait faire carburer l’imagination.

Comment les oiseaux contournent-ils les courants d’altitude? Dans quel sens naviguent-ils? A quelle vitesse? S’arrêtent-ils souvent? Aux mêmes endroits? Sont-ils sensibles à la météo? Vivent-ils longtemps? Reviennent-ils exactement au même point de départ? Combien de trajets dans une vie?

On ne le saura pas.

Mais le plus irritant est peut-être le flou géographique dans lequel nous plonge le réalisateur. Veut-il cacher quelque chose avec des indications aussi vagues que «steppes d’Asie centrale» ou «Amérique du Sud»? Une simple carte de géo aurait été bien utile au lieu d’un globe fuyant dessiné à la palette graphique et de rares sous-titres affichés dans une typographie sans grâce…

A ce stade, «Le peuple migrateur» aurait encore pu devenir une sorte de «Grand bleu» des airs, un film pour fumeurs de joints avec belles images et musique planante. Mais le recours à des scènes bêtifiantes (le fil à la patte) ou anthropocentriques (un perroquet qui ouvre sa cage, un manchot qui danse, un pingouin qui hurle à la mort) viennent ruiner cette dernière chance.

Les oiseaux migrateurs savent bien qu’il faut du temps et de la patience pour se rendre d’un point à un autre. Jacques Perrin, lui, semble refuser cette évidence. Par son montage frénétique, il essaie de nous faire croire qu’on peut passer en quelques secondes d’une banquise à un canyon, puis d’une vallée française à un lac africain en se transformant successivement en cigogne, en oie puis en pélikan.

Comment peut-on se planter à ce point? On en vient à se demander si le tournage lui a rapporté des miles.