Depuis un mois, Breaking News apparaît régulièrement sur les chaînes tout-info. Les nouvelles cassent les nouvelles. L’expression est révélatrice.
Breaking News: depuis le 11 septembre, comme chaque fois que les actualités connaissent un pic de tension, ces deux vocables n’ont pas quitté l’écran des chaînes américaines vouées à l’information générale. Dernières apparitions spectaculaires du slogan pendant la déclaration de guerre de George W. Bush dans sa Maison Blanche, puis dimanche passé, pendant celle de son adversaire Oussama ben Laden en sa caverne…
«Casser les nouvelles», donc. L’expression est révélatrice: elle avoue l’inavouable des pratiques médiatiques actuelles. Dans l’idéal, l’art d’informer se fonde sur des comportements de continuité face à tel ou tel événement. D’une part, comportements de continuité dans la phase de la documentation: le journaliste se renseigne sans à-coups sur les faits qui l’intéressent. Secondement, comportements de continuité dans la phase de la restitution: le journaliste raconte ces faits au public dans leur enchaînement organique.
Breaking News est un ensemble de pratiques violemment attentatoires à ces principes. Premièrement, diffuser à cette enseigne les images du bombardement perpétré par les Américains sur Kaboul ces jours-ci, par exemple, équivaut à suspendre totalement la transmission circonstanciée de toute autre information: Kaboul devient brusquement l’entier de la planète, où ne se passe plus qu’un seul événement – celui de sa destruction.
Deuxièmement, cette substance télévisuelle fait elle-même l’objet d’un hachage permanent à la faveur duquel alternent les interviews instantanées, les déclarations officielles en direct et les commentaires en duplex ou multiplex. Et troisièmement, ce déchiquetage est parachevé par l’incrustation graphique de bandes passantes et de tableaux fixes sur le petit écran, voués à dispenser des embryons d’informations, notamment sur les cours de la bourse.
Autrement dit, Breaking News est un terrorisme que la machine médiatique applique à son propre matériau, aux fins d’en exploiter les effets pour accroître sa clientèle. Celle-ci ne parvient plus à se distancier de ce qu’elle perçoit comme images et comme sons télévisuels, et moins encore à situer ceux-ci dans sa mémoire et dans son expérience. L’affolement et la fascination l’imprègnent conjointement, laissant le non-sens investir le petit écran et priver celui-ci d’Histoire et de fraternité.