Bush pensait tenir la vedette en lâchant ses bombes, mais c’est l’homme caché qui a surpris tout le monde en prenant la parole à la télé.
L’Afghanistan bombardé par les Anglo-américains! Au premier coup, à l’annonce radio de l’intervention américaine captée d’une oreille distraite, je n’ai pas même pas sourcillé tant la pression médiatique était intense depuis quelques jours. Hier, pendant toutes la journée, les agences ont diffusé des enfilades de dépêches qui permettent à n’importe quel journaliste de disserter avec compétence sur les mérites comparés des chasseurs EA-6B, AC-130 ou F/A-18 Hornet. Puis, soudain, j’ai réalisé que c’était sérieux, que Bush avait déclenché les représailles annoncées, bombardé un Etat souverain, probablement ordonné à des troupes au sol d’y pénétrer.
Ma femme, l’air de ne pas y toucher, m’a glissé: «Nous sommes le 7 octobre 2001, la guerre a commencé vers 18h30. Quand finira-t-elle?»
Bien malin qui pourrait avancer une réponse. Mais la volonté d’en découdre est réelle, tendue, profonde. On a pu lire cette détermination au cours de ces derniers jours dans l’agitation de Tony Blair. Un Blair convaincu certes, mais peu convaincant tant il manque de charisme, de prestance, d’emphase. Bush aussi, filmé dans son bureau, avec un paisible jardin en arrière-plan, ne dégage pas le charisme qui sied à un chef de guerre. Chirac a pour sa part plus de bouteille, mais beaucoup moins de moyens…

Je somnolais presque au fil de ces plats discours présidentiels quand soudain, l’ennemi s’est dressé devant moi. Oussama Ben Laden, turban solidement noué, tenue de camouflage, montre-bracelet impressionnante de modernité. Mais le visage de Ben Laden! Le ton de sa voix! L’acuité de son regard! La froide détermination de son propos. Pour la première fois il revendique les attentats. Puis il s’engage et donne son programme: «Je jure par Dieu que l’Amérique ne connaîtra jamais plus la sécurité avant que la Palestine ne la connaisse et avant que toutes les armées occidentales athées ne quittent les terres saintes de l’islam!»
Une fois de plus, Ben Laden prend le monde entier à rebrousse-poil. Bush croyait tenir la vedette sur les télés en lâchant des bombes (dont il a lui-même mis en doute l’efficacité dès le début de la crise en affirmant que dans la longue lutte qui commençait, il y aurait aussi des images pour la TV). Et voilà que deux heures plus tard, c’est l’homme le plus recherché du monde, celui que le président américain exige qu’on le lui amène «dead or alive», qui parle dans les petites lucarnes du monde entier! Et lui ne s’embarrasse pas de demi-mesures ni de figures de style: il déclare la guerre, appelle au combat, fixe des objectifs clairs et simples.
En le voyant, en voyant repasser la cassette, une figure s’imposait en filigrane, celle de Hô Chi Minh dont certains portraits militants répandus à des millions d’exemplaires dégageaient, comme Ben Laden hier soir, la sérénité tranquille de celui qui sait avoir raison devant l’histoire et les hommes.
Mais, à chaud, il me semble que Ben Laden est encore plus fort. Parce qu’il réunit à la fois la tradition et la modernité. Son message religieux rétrograde et ultra-réactionnaire est relié par des méthodes politiques d’une audace inouïe comme la technique des attentats, les gains financiers réalisés grâce à ces attentats, le retournement médiatique de hier soir avec cette déclaration de guerre que personne n’attendait et, last but not least, sa montre. Ben Laden sait où il vit et l’heure qu’il est. Il se pose en maître du temps.
Face aux chrétiens occidentaux – qu’il ne se propose pas d’exterminer mais juste de renvoyer chez eux – il se permet un ultime pied de nez: doté par les hasards de la nature (à moins que d’aucuns n’y voient la main du démon?) d’un visage christique, il leur renvoie l’image spéculaire d’un Antéchrist menaçant.
En réalité, les discours apocalyptiques ne manquent pas ces jours-ci. Amis internautes, la partie s’annonce difficile.
