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L’horreur d’une journée sans réseau

Que faisiez-vous le 27 juillet dernier? Ce jour-là, Vanessa attendait un message important. Et le réseau Swisscom était en panne. Récit.

C’est une histoire récente. Elle remonte au 27 juillet dernier, date où Swisscom connut une panne historique. Pendant douze heures, les usagers de téléphones mobiles ne purent ni envoyer ni recevoir d’appels, pas plus que de ces messages textuels qu’on appelle SMS.

Douze heures, ce n’est pas grand chose, mais pour Vanessa, 16 ans, ce contretemps faillit tourner à la catastrophe. Il faut dire que Vanessa n’a pas le sens des mesures. Excessive, tantôt boulimique, tantôt anorexique, elle ne supporte ni l’autorité ni les aléas du hasard.

Elle profite de ce que la nature lui a offert – des yeux couleur miel, un teint mat, des jambes interminables et une croupe à damner toute la hiérarchie cléricale – pour faire ce qu’elle veut, quand elle veut, comme elle le veut. En d’autres termes, Vanessa est une adolescente capricieuse et charismatique.

Donc en ce fameux jour du 27 juillet 2001, Vanessa attendait le téléphone de Quentin, un lycéen de son âge qu’elle avait rencontré un mois auparavant au rayon DVD du Virgin Mégastore des Champs-Elysées.

Leur histoire avait plutôt mal débuté, les deux se disputant âprement l’unique exemplaire de «Suspiria», le film d’horreur de Dario Argento. Quentin, galant, avait finit par céder. En signe de reconnaissance, elle avait accepté de boire un Coca avec lui.

Après quelques minutes, ce fut le coup de foudre. Sans autre scrupule que son bon plaisir, Vanessa avait fait comprendre à sa copine Yasmina qui l’avait accompagnée à Paris qu’elle avait «autre chose à faire que du shopping naze» et qu’elle la retrouverait comme convenu dans le TGV pour Genève, dimanche soir.

Pendant quatre jours, les jeunes amants s’étaient enfermés dans l’appartement des parents de Quentin, absents pour un mois. Hormis «Suspiria» qu’ils regardèrent trois fois de suite, ils passèrent l’essentiel de leur temps à faire l’amour dans le grand lit parental.

Vanessa n’en était pas à sa première expérience sexuelle, loin de là, mais elle n’avait encore jamais connu «le grand amour physique», comme elle le disait d’un ton plein de sous-entendus. Pour Vanessa l’exaltée égocentrique, cela ne faisait aucun doute: Quentin était l’homme de sa vie.

De retour à Genève, elle lui envoya plusieurs SMS codés, lui téléphona tous les jours et parfois même, inspirée par le roman épistolaire qu’elle avait étudié durant l’année, lui écrivait de longues lettres lyriques et romantiques.

Elle en était si fière qu’elle les photocopiait pour les faire lire à ses copines admiratives. Lesquelles, bonnes filles, se réjouissaient avec elle de la venue à Genève le 27 juillet de ce garçon «encore plus beau et plus cool que Jean-Edouard mais vachement moins goujat». Vanessa adorait utiliser parfois des mots savants.

Or, ce jour-là, le téléphone resta silencieux. Pas d’appel, pas de SMS. Vanessa crut devenir folle. Plus les heures avançaient, plus elle se sentait inquiète. Il ne m’aime plus! Il n’a pas osé me le dire! Quel salaud! Il en a trouvé une autre!

Appelée au secours, Yasmina, peu rancunière, tenta de l’apaiser. En vain. Vanessa était folle d’angoisse, alternant larmes et visite répétée au réfrigérateur, longue diatribe sur la connerie des mecs et interminable plainte sur son coeur en sang, zapping frénétique devant les séries de l’après-midi et retour vers le placard à provisions.

En quelques heures, Vanessa avait déjà englouti dix sachets de chips, un bocal de cornichons avec oignons, trois barres de Mars, sept yaourts 0%, trois paquets de barquettes aux abricots et fumé quinze cigarettes pour se couper l’appétit «parce qu’aucun mec sur cette terre ne mérite qu’on grossisse pour lui».

Pour distraire celle qu’elle s’entêtait à considérer comme «sa meilleure amie», Yasmina lut tous les horoscopes des magazines qui lui passait sous la main – et il y en avait beaucoup, l’appartement des parents de Vanessa jouxtant leur cabinet de dentiste.

«Elle» annonçait aux Gémeaux une semaine inoubliable. «Le Matin» lui prédisait une journée du 27 spéciale en tous points. «Jeune et Jolie» lui recommandait de soigner sa peau et de ne pas se laisser aller aux sucreries. «Jalouse» lui conseillait de ne pas perdre ses nerfs en cas de contretemps. «Femme actuelle» lui suggérait de ne pas jouer les princesse capricieuse. «De toute façon, c’est un magazine de poufiasse» décréta Vanessa qui venait d’ouvrir un paquet de Mikado.

Après avoir épluché tous les horoscopes des Gémeaux, Yasmina refit une tournée des mêmes magazines en s’attachant cette fois-ci à l’ascendant de Vanessa, Bélier. Mais rien ne pouvait freiner le comportement compulsif de son amie. «Tu te rends compte, j’ai tout fait avec lui, même les trucs qu’on lit dans les magazines. Tout et ce connard me lâche!» Yasmina qui n’avait pas la même expérience que sa copine en matière de garçons ouvrit des yeux plein de curiosité. «Tout? Vraiment tout?»

Vanessa ne l’écoutait même pas, trop occupée à grignoter puis à mesurer l’ampleur des dégâts sur le pèse-personne électronique de la salle de bains. Pour se déculpabiliser, elle ôta 1 kilo 900 grammes à ses 47 kilos, «pour le jeans, les plate-forme et le portable».

«Yas, mets-toi sur la balance!» lui ordonna Vanessa. Au lieu de l’apaiser, les 63 kilos de sa copine la mirent hors d’elle. Vanessa ressemblait à une furie. Le mascara qui avait coulé lui faisait des yeux de panda quand retentit la sonnerie de son appartement: «Va répondre!», ordonna Vanessa.

Quand elle entendit la voix de Quentin, Vanessa se précipita vers la porte, poussa sa copine et sauta dans les bras de son fiancé. Passé ce premier moment d’émotion, elle l’engueula: «Tu m’avais dit que tu m’appelais? Tu crois quand même pas que je suis à ta disposition?» Quentin sut la calmer aussitôt.

«Bon, Yas, tu m’as dit que t’avais des tas de trucs à faire….Ciao!»

Pour la première fois de sa vie, Yasmina eut envie de frapper sa copine. Elle se retint. En bas de l’immeuble, elle voulut lui envoyer un SMS: «G la N».

Mais le réseau ne fonctionnait pas.