KAPITAL

PME à vendre: les clés d’une reprise réussie

Pour un entrepreneur dans l’âme, racheter une société existante comporte de nombreux avantages: gain de temps, employés expérimentés, carnet d’adresses bien fourni. Mais ce type d’opérations comprend aussi certains risques.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.

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Les entrepreneurs de la génération du baby-boom atteignant l’âge de la retraite, le nombre de PME à vendre en Suisse va exploser ces prochaines années. On estime déjà que près de 14’000 petites et moyennes entreprises changent de mains chaque année dans le pays, selon une étude récente de Credit Suisse et de l’Université de Saint-Gall.

Pour ceux qui ont le goût d’entreprendre, mais pas forcément de projet précis, acheter une société existante constitue une solution intéressante. Cette démarche comprend des points positifs – infrastructures déjà en place, personnel expérimenté, clientèle existante-, mais comporte des risques. «Le problème est que la plupart des dirigeants s’y prennent beaucoup trop tard pour penser à leur succession, observe Olivier Nimis, fondateur et directeur général de Remicom (groupe de courtage). Ils attendent l’âge de la retraite ou d’être trop fatigués ou malades. La santé de leur entreprise se trouve impactée par ce manque d’énergie. Les chiffres, alors en baisse, rendent leur société moins attractive pour les acquéreurs.»

Alors comment trouver la bonne affaire et surtout, où la chercher? Vers quels organismes se tourner pour demander de l’aide? Comment trouver des solutions de financement quand les fonds propres ne suffisent pas? Les réponses des experts, en cinq étapes.

1. Trouver chaussure à son pied

Si aucune base de données ne contient l’intégralité des entreprises à vendre en Suisse, plusieurs plateformes permettent de mettre en lien vendeurs et repreneurs. On peut citer Remicom et la société du Groupe Raiffeisen, Business Broker, qui enregistrent toutes deux environ un millier de transactions par année, ou encore Companymarket.ch.

Certaines banques suisses, déjà actives dans les services aux entreprises, ont développé des prestations expressément dévolues à l’étape de la transmission. A la Banque cantonale de Genève (BCGE), la filiale Dimension livre des conseils pour la vente de l’entreprise et l’évaluation de sa valeur. Elle accompagne tant les acheteurs que les vendeurs, mais séparément. Du côté de la Banque cantonale vaudoise (BCV), une équipe est uniquement dédiée à la transmission d’entreprises sous la responsabilité de Nicolas Corod. «Aujourd’hui, il y a davantage d’acheteurs que de vendeurs de sociétés. C’est pourquoi, il est important qu’un acquéreur potentiel rédige un profil de repreneur en listant son expérience, ses secteurs d’affinités et sa vision entrepreneuriale.» De plus, la banque recommande de la patience au repreneur, car la démarche peut durer jusqu’à cinq ans, entre les premières réflexions du cédant et le contrôle autonome de la société désirée par le repreneur.

Au Credit Suisse, cette entité s’appelle OpportunityNet. «Pour chaque entreprise à vendre ou à acheter, une fiche anonymisée est créée, explique Jean-Marie Salina, responsable clientèle PME de la région Genève. Celle-ci décrit le type d’activité, la taille et la valeur de l’entreprise. Une fois que la plateforme obtient une correspondance entre un acheteur et un vendeur, le conseiller bancaire met ceux-ci en contact. La plateforme propose son réseau, mais ne s’immisce pas dans les négociations ultérieures.»

Il faut également tendre l’oreille car d’excellentes opportunités peuvent se trouver au sein même de son entreprise. «Certains employés souhaitent reprendre l’entreprise dans laquelle ils travaillent mais ne savent pas comment aborder le sujet avec l’entrepreneur-cédant, précise Nicolas Corod de la BCV. Et parfois, c’est l’inverse. Dans le cas précis d’un Management Buy-Out, il est donc recommandé de réunir toutes les parties afin d’éviter les non-dits. Sinon, ces situations peuvent durer des années et empêcher la réussite d’une reprise de la société par ses propres salariés.»

2. Bien connaître la société à reprendre et savoir ce qu’on peut apporter au projet

 Une fois qu’un repreneur a trouvé une entreprise qui correspondait à son budget, à ses compétences et à son profil, il doit être certain que celle-ci constitue une bonne affaire. Dans cette optique, il est conseillé de mener un audit ou d’effectuer une due diligence, à savoir un examen approfondi de la situation financière de l’entreprise, avec l’aide d’une fiduciaire ou d’un expert financier. «Il faut bien étudier l’histoire de l’entreprise pour savoir si ses revenus sont plutôt stables ou potentiellement volatiles», conseille Jean-Marie Salina de Credit Suisse.

Il faut aussi réfléchir à deux fois à sa propre démarche: ai-je envie d’acheter une entreprise pour placer mon argent ou suis-je intéressé par son activité et son caractère même? «Investir dans une société sans expérience de la branche ou sans capacités managériales peut mener à des difficultés», prévient Jean-Marie Salina de Credit Suisse. Se mettre des clients à dos, rendre la gestion interne de l’entreprise compliquée ou perdre des personnes-clés dans le fonctionnement de la société sont autant de conséquences néfastes possibles.

Le profil-type du repreneur est un individu entre 40 et 50 ans, qui détient un budget de 500’000 à un million de francs, selon Olivier Nimis de Remicom. «Ce sont souvent des personnes qui ont été cadres dans une banque par exemple, qui se sont retrouvées au chômage et qui s’estiment trop âgées ou surqualifiées pour retrouver un emploi. Alors elles décident d’acheter une entreprise. Le problème est que nous ne trouvons pas de produit à leur proposer, car elles ne connaissent pas la réalité des secteurs artisanaux ou industriels et elles sont à la recherche d’une affaire à haute rentabilité pour leur permettre d’assurer leur train de vie élevé.»

3. Se mettre d’accord sur le prix

Dans l’annonce qu’il publiera, le dirigeant-vendeur donnera tout d’abord un ordre de grandeur du prix, qui sera affiné après que le futur acheteur a examiné en profondeur la situation de l’entreprise. Là aussi, mieux vaut s’entourer de spécialistes. «La valeur de l’entreprise sera notamment déterminée en fonction de son chiffre d’affaires et de son bénéfice», précise Jean-Marie Salina de Credit Suisse. Ces données doivent être considérées sur une période de temps suffisamment longue, en faisant une moyenne sur dix ou quinze ans, pour connaître la valeur durable de l’entreprise. «Il est également nécessaire de comprendre le modèle d’affaires de l’entreprise et d’évaluer les actifs complémentaires comme un bâtiment, si la société en possède», met en évidence Nicolas Corod de la BCV.

Pour estimer la valeur d’une entreprise, il existe un grand nombre de méthodes. On les applique en fonction de la taille, de la structure financière, de la fortune, de la branche d’activité de la PME que l’on souhaite acquérir. Une des techniques les plus utilisées consiste, par exemple, à déterminer la valeur de comparaison d’une société. «Cette méthode aspire à évaluer une entreprise à l’aide d’une ou plusieurs transactions récentes de PME dans le même secteur d’activité, détaille Nicolas Corod. Ainsi, le prix constaté est mis en exergue avec un indicateur, par exemple, le chiffre d’affaires ou le résultat d’exploitation, pour définir un ratio de comparaison.» Avec une difficulté toutefois selon le spécialiste de la BCV: l’identification de transactions similaires n’est pas aisée pour des PME, car ces données ne sont pas publiques.

4. Financer la reprise

 Avant de se lancer dans le processus de transaction, l’acheteur devra avant tout s’assurer qu’il détient suffisamment de fonds propres. «Sur 1’000 transactions que nous accompagnons chaque année, 950 dossiers ne reçoivent aucun financement, prévient Olivier Nimis de Remicom. Les banques proposent des solutions mais les octroient seulement si le repreneur offre suffisamment de garanties.»

Les fonds propres du repreneur doivent se situer aux alentours de 50% du prix d’achat, précise Jean-Marie Salina de Credit Suisse. Si les fonds propres sont insuffisants, l’acquéreur peut envisager la mise en place d’un prêt du vendeur. «On peut envisager également de faire appel à des crédits mezzanine (prêts qui sont remboursés en une fois à la fin du contrat, au lieu d’avoir un remboursement échelonné) et, bien sûr, à la famille et aux amis.» La banque se chargera de conseiller et de mettre en relation les PME avec des fiduciaires, des avocats ou des fiscalistes.

Parallèlement à l’analyse des fonds propres, la capacité de financement de l’entreprise et sa rentabilité sont évaluées. «Il faut définir les besoins en investissements futurs pour avoir une vision claire de la trésorerie effectivement disponible afin d’assurer le remboursement d’un crédit bancaire.» Il convient également de tenir compte des éventuels risques fiscaux pour l’acheteur et pour le vendeur. Pour cela, l’expert conseille de procéder à une expertise fiscale indépendante et, le cas échéant, d’obtenir un ‘ruling’ fiscal (soit un accord conclu avec l’administration fiscale établissant les modalités de l’imposition). L’ensemble de ces éléments sera par la suite pris en considération par la banque pour l’octroi d’un crédit.

Pour le financement en tant que tel, Credit Suisse propose des financements d’acquisition, allant de moins d’un million à plusieurs dizaines de millions de francs suisses. Ceux-ci peuvent prendre la forme de MBO (Management Buy-Out) ou de LBO (Leveraged Buy-Out), ou encore de prêts bancaires directs. «Pour des PME valant entre 5 et 20 millions de francs suisses, l’intervention d’une seule banque suffit; pour les plus grandes, on fait appel au syndicat bancaire», précise Jean-Marie Salina. Le financement d’acquisition est remboursable à moyen terme. Un financement d’acquisition structuré prévoit l’amortissement du prêt sur des périodes de cinq à sept ans. Un remboursement régulier est alors mis en place pour éteindre la dette.

Certaines banques proposent des solutions de financement, et le dossier des candidats-repreneurs sera alors examiné en détail. A la BCGE, la filiale Capital Transmission, active dans le Private Equity, finance les reprises d’entreprises avec les fonds de la banque. «Nous accompagnons des entreprises matures et saines», précise sa directrice Virginie Fauveau. Les start-up et les entreprises en restructuration ne sont pas considérées. Capital Transmission procède à des prises de participation minoritaires, souscrit à des obligations convertibles et octroie des prêts mezzanines. «Si nous intervenons en octroyant du capital, nous restons actionnaire minoritaire, nous ne siégeons jamais au conseil d’administration de la société en question. Il est donc important que le repreneur ait des compétences managériales.»

Olivier Nimis de Remicom souligne que certaines structures, telles que la Fondetec ou la Fondation d’aide aux entreprises (FAE), proposent des solutions de cautionnement, mais seulement si des reprises d’employés ou la création d’emplois entrent en ligne de compte. Pour cela, un dossier très complet devra être présenté et le délai de réponse est long. De plus, environ 40% des projets seulement sont financés par ces organismes. Les coopératives de cautionnement suisses, dont le plafond de cautionnement pourrait être prochainement relevé à un million de francs, aident également les repreneurs de PME à obtenir plus facilement des crédits bancaires. Elles fournissent des garanties aux institutions financières qui prêtent de l’argent aux entreprises.

5. Ne pas se précipiter et prévoir un temps de latence

 Il faut compter en tous cas entre trois et six mois pour la transaction, selon Virginie Fauveau. «Mieux vaut anticiper la recherche de financement», prévient la spécialiste de la BCGE. Il est nécessaire de commencer à réfléchir à la structuration financière du rachat dès les premières discussions avec le vendeur. «Les banques ont besoin d’un certain temps pour analyser le dossier et comprendre le fonctionnement de la société.»

Même si l’acheteur et le vendeur sont d’accord sur tous les aspects contractuels, certaines démarches administratives peuvent bloquer à tout moment l’aboutissement de la transaction. Dans le cas de la transmission de Carletti Sanitaire (voir le portrait en encadré), son exécution après la signature du contrat a duré quatre mois et nécessité de nombreux allers-retours, notamment parce que le repreneur était un étranger non domicilié en Suisse et pour des motifs financiers et fiscaux.

La gestion de la période post-transaction n’est pas non plus à prendre à la légère. Comment faire sa place, surtout si l’on vient de l’extérieur? Comment se faire accepter des collaborateurs et convaincre les clients de rester? «Le processus de reprise d’une entreprise est long et peut se révéler chronophage, souligne Nicolas Corod de la BCV. Pour le patron-vendeur, il est nécessaire de s’entourer d’une équipe proche qui s’occupe du projet de transmission. Puis lorsque le contrat est conclu, il faut compter entre 6 à 18 mois de ‘passation de pouvoirs’. Car le patron-vendeur devra accompagner le repreneur auprès des clients, des fournisseurs et des employés afin de maintenir la confiance intacte.»

«Il vaut mieux ne pas tout chambouler en arrivant, estime Virginie Fauveau de la BCGE. Il y a parfois des choses à changer rapidement. Dans le cas par exemple où le patron a 70 ou 75 ans, la société a éventuellement vieilli avec lui. Il faut alors remettre certains processus au goût du jour et peut-être entrer dans la digitalisation. Mais de manière générale, il faut prendre le temps d’observer, de voir ce qui fonctionne ou pas.» Selon la spécialiste, tout révolutionner peut amener à la démotivation de l’équipe et à la perte d’employés importants.

Même longue, la transmission des petites et moyennes entreprises renvoie à des enjeux cruciaux pour l’économie suisse. «Le risque est grand de perdre les PME et entreprises familiales du pays, leur savoir-faire et la quantité d’emplois qu’elles occupent dans l’économie suisse, fait remarquer David Carletti. Aujourd’hui, les enfants n’ont souvent pas envie de faire le même travail que leurs parents ou d’y consacrer leur vie entière». Ce Genevois a lui-même été impliqué dans la revente de l’entreprise familiale, puis a créé sa propre structure d’accompagnement, Business Transmission. Son but: aider les entreprises à s’organiser pour gagner en efficacité. «Il faut savoir ‘lâcher son bébé’, et c’est dur pour un entrepreneur de faire ce pas… J’ai vécu cela, je connais l’importance des aspects émotionnels et familiaux lors de la transmission d’une entreprise.»