Au cinéma, mais aussi dans les boutiques de mode et sur MTV, le singe est furieusement tendance cet été. Normal: il n’a jamais été aussi proche de l’humain.
Il faut toujours observer les t-shirts des adolescents. Les motifs qu’on y trouve constituent d’excellents indicateurs de tendances. Depuis plusieurs mois, ce sont des logos de singes qui s’agrippent au coton: chimpanzés électriques, gorilles avec écouteurs, ouistitis en paillettes disco… Les primates sont à la mode sur la planète Terre.

Une tendance officiellement confirmée par les charts: le disque de house de l’été, «Rooty» de Basement Jaxx, arbore un grand singe albinos sur sa couverture. Et dans les classements européens, c’est un supergroupe nommé Gorillaz qui constitue la meilleure surprise pop de l’année.

Pas vraiment étonnant: cela fait plusieurs saisons que les pantalons baggy – avec entrejambe à hauteur du genou – ont popularisé la démarche simiesque dans les cours de récréation. Une affaire de silhouette. Les membres inférieurs doivent désormais paraître plus courts que les membres supérieurs. Soyez singe.

Comme pour appuyer sur le clou, la Warner nous envoie ces jours-ci sa nouvelle «Planète des singes». Si ce remake signé Tim Burton a été fraîchement accueilli par la plupart des journaux francophones, Le Monde lui consacre un article particulièrement élogieux, évoquant «un film magnifique, d’une extrême finesse et d’une totale lisibilité, tout à fait passionnant.» Principal argument du critique Jean-Michel Frodon: l’œuvre de Tim Burton entrerait en résonnance avec l’actualité transgénique et le brouillage des frontières entre espèces.
«Aujourd’hui, écrit Frodon, les implantations de cellules souches humaines chez les singes et autres manipulations génétiques occupent quotidiennement les pages des journaux. La limite entre le vivant et les machines est devenue un enjeu théorique et moral essentiel. Les règles du jeu sont complètement brouillées.»
«Le film de Tim Burton raconte exactement cela. Partant du typage connu (à la fois dans la réalité et dans les fictions précédentes), il organise une succession de glissements, intercale des cas intermédiaires entre des oppositions tranchées, intervertit les rôles, déstabilise acquis anthropologiques et critères narratifs.»
Du coup, on se dit que ce nouvel engouement pour la figure du singe n’est peut-être pas dû au hasard. Le 12 janvier 2001, la revue Science consacrait un article étonnant à la naissance du premier singe génétiquement modifié.

Né en octobre 2000 dans les laboratoires de l’Université de Portland et baptisé ANDi (pour ADN inséré), ce jeune animal ouvre la voie à la création de primates transgéniques, plus proches de l’homme, et donc susceptibles de contracter des maladies humaines – l’objectif ultime étant de les utiliser pour tester des médicaments, comme l’expliquent divers articles de presse.
De Gorillaz à Tim Burton et jusqu’aux t-shirts des boutiques de mode, la «tendance singe» n’a dès lors plus rien d’innocent. L’homo sapiens, confronté au vertige des manipulations génétiques, se sent brusquement très proche de ses cousins. Cette empathie n’est pas désintéressée: on préfère envoyer les primates en éclaireurs dans les éprouvettes plutôt que de risquer des vies humaines. On les aime, ils sont comme nous.

La première guenon clonée est née l’an dernier dans un laboratoire de l’Oregon. Elle se nomme Tetra et aux dernières nouvelles, elle se porte bien. On attend maintenant le premier homme cloné.
En 1968, l’année de la sortie de la première «Planète des singes», le film original de Franklin Schaffner partageait l’affiche avec une autre œuvre de science-fiction mettant en scène des primates étrangement proches de l’Homme. Son titre annonçait peut-être l’année du singe? «2001, l’odyssée de l’espèce».

——-
A propos de ANDi, premier singe transgénique.
A propos de Tetra, la première guenon clonée.
——-
Dessins: Alexia de Burgos