TECHNOPHILE

Comme un Webby Award après la chute du Nasdaq

Ces trophées qu’on appelle «les Oscars du Web» étaient remis mercredi soir dans un climat d’optimisme forcé. Les temps ont bien changé à San Francisco. Souvenirs et liste des prix.

Comment garder le moral et faire la fête pour honorer certains sites Web alors que des dizaines d’autres disparaissent chaque jour? En faisant comme si de rien n’était. Mercredi soir 18 juillet avait lieu la remise des Webby Awards au très chic San Francisco War Memorial Opera House.

Il s’agit de la cinquième remise de ces «Oscars du Web» qui récompensent des sites dans 27 catégories parmi lesquelles le commerce, l’activisme, l’éducation, l’humour et même l’étrange.

La cérémonie des Webbies est un événement très san franciscain: les gens d’affaires en veston-cravate y côtoient les geeks de l’informatique en jeans. Il règne lors de la soirée une atmosphère de folle extravagance et les hommes sont souvent plus maquillés que les femmes.

J’avais assisté aux deux premières remises de prix en 97 et en 98, à l’époque où il était de mise, pour les jeunes travailleurs du multimédia de San Francisco, de profiter de toutes les soirées où la nourriture et le bar étaient gratuits, offerts par une compagnie high tech dont le porte-monnaie semblait sans fond. La rumeur courait que les billets étaient très difficiles à obtenir mais une fois sur place, il fallait bien constater que tous nos collègues du multimédia y étaient aussi.

Malgré l’illusion qui nous laissait croire que rien ne pourrait arrêter le succès des dotcoms, la cérémonie était considérée avec un brin d’ironie. Oui, le monde d’internet était «cool», mais certainement pas «glamour».

À l’entrée de la petite salle de spectacle où avait lieu la première remise de prix en 1997, de faux photographes munis d’énormes caméras avaient été engagés pour photographier tous les arrivants, même les inconnus, afin de parodier Hollywood et ses vedettes. Le monde d’internet avait bien ses quelques millionnaires mais personne ne savait vraiment de quoi ils avaient l’air. Dans cette Californie relax et faussement égalitaire, les riches et les pauvres portaient les mêmes habits et fréquentaient les mêmes lieux branchés.

La coordonnatrice portait une robe de bal, et ses longs cheveux blonds étaient coiffés d’un casque de communication à la Star Trek lui permettant, dans une efficacité bien américaine, de lancer ses ordres à sa troupe sans abîmer sa coiffure. Si les artisans du Net avaient le sens de l’autodérision, les organisateurs des Webby Awards, eux, prenaient la cérémonie très au sérieux.

Quatre années ont passé, plusieurs centaines de dotcoms se sont écroulées mais le sérieux des organisateurs demeure. Les prix sont maintenant accordés par un jury composé des membres d’une académie créée de toute pièce par les responsables des Webby Awards à laquelle on a donné le fier titre de The International Academy of Digital Arts and Sciences. De nombreuses vedettes ont été invitées à joindre les rangs de cette académie dont David Bowie, Beck, Björk et Susan Sarandon.

Animée par Alan Cummings, que l’on peut voir ces jours-ci dans un film qu’il a co-écrit et réalisé avec Jennifer Jason Leigh («The Anniversary Party»), la cérémonie de mercredi soir n’avait pas grand chose à envier aux Oscars. Des courts métrages bien réalisés annonçaient les nominations ainsi que les gagnants. Pour ajouter quelques kilos de crédibilité, on avait même fait appel à Sam Donaldson, personnalité télévisuelle américaine bien connue de la chaîne ABC pour animer la retransmission en direct sur le Web.

Faisant référence à la chute du Nasdaq, la directrice de l’événement a comparé l’attachement au Web à un mariage: certains se sauveront avec les meubles dès les premiers signes de difficulté alors que d’autres, les purs et durs, resteront, pour le meilleur et pour le pire…

Le Web aurait-il perdu son sens de l’humour et de la bravade suite aux nombreuses faillites de ses tentatives commerciales?

Heureusement, on peut toujours compter sur les artisans pour ajouter du piquant dans une cérémonie un peu trop bien rodée. Les discours de remerciement étaient limités à cinq mots. Travelocity, le site gagnant dans la catégorie voyage, les a utilisés ainsi: «Thanks, now please go away». Dans la catégorie communauté, le créateur de Craig’s List, un forum très populaire dans la région de San Francisco, en a profité pour rendre hommage à sa mère: «Hey mom, I love you».

Dancing Paul, qui a remporté le prix dans la catégorie page personnelle avec son site où on le voit exécuter des danses ridicules, a déclaré simplement: «I just like to dance.»

Et le Web ne serait pas le Web sans un coup d’éclat de la part d’activistes. Au moment de l’annonce du prix de la catégorie «news», un homme caché derrière un masque à gaz s’est lancé sur la scène et a volé le trophée du gagnant (le magazine Inside) en criant: «Fuck corporate media!»

L’«attentat», qui a à peine ébranlé l’animateur de la cérémonie, est décrit en détails sur le site de nouvelles alternatif Indymedia.

L’académie se veut internationale et dit vouloir récompenser les meilleures œuvres sur le Web partout à travers le monde. Je n’ai pourtant trouvé que trois sites parmi les 27 gagnants de la cuvée 2001 qui n’étaient pas américains – ou qui offraient des textes dans une autre langue que l’anglais (catégories art, radio et science).

Si l’on en croit la cinquième cérémonie des Webby Awards, le Web n’est pas seulement moins irrévérencieux qu’avant. Il est aussi de plus en plus américain.