Au Canada, des photos d’enfants agonisants ou de poumons ravagés ornent les paquets de cigarettes. Avec des résultats mitigés, raconte notre correspondante.
«Pas celui avec les gencives noircies, ni celui avec les problèmes d’érection. Donnez-moi plutôt celui avec les statistiques.» A la caisse d’un supermarché de Montréal samedi dernier, la queue s’allongeait derrière une jeune femme. Elle voulait choisir ses cigarettes selon la photo qui ornait le paquet. «Ce sont toujours les mêmes cigarettes, Madame», a dit le caissier, en tentant vainement de la convaincre.
Pour les fumeurs canadiens, depuis décembre 2000, les cigarettes ne sont pourtant plus tout à fait les mêmes. Une nouvelle loi sur le tabac force les fabricants de cigarettes à afficher une série d’avertissements avec photos imprimées à l’extérieur des paquets.

Les fumeurs canadiens étaient déjà habitués aux messages textuels. Dès 1989, une loi fédérale exigeait la présence d’avertissements sur tous les produits du tabac. Mais, comme en Europe, peu de gens se donnaient la peine de les lire. Cette fois-ci le gouvernement s’est arrangé pour que les avertissements ne puissent pas être ignorés.
Seize variantes existent dont les photos alarmantes couvrent maintenant la moitié du paquet: gencives ravagées par le cancer de la bouche, tumeurs au poumon , enfants qui étouffent, etc. On retrouve même une cigarette ramollie et courbée vers le bas, faisant allusion aux problèmes érectiles qui peuvent affecter les gros fumeurs.

Les avertissements sont appuyés par une série de messages à l’intérieur du paquet portant sur les méthodes pour cesser de fumer. Un site internet accompagne cette campagne.

Le gouvernement canadien a mené une étude qui, selon lui, justifie une telle campagne contre la fumée. Cette étude a conclu qu’il existe une relation linéaire significative entre la taille de la mise en garde et son influence sur la décision d’arrêter de fumer. Plus le message est imposant, plus il encouragerait les fumeurs à cesser de fumer. Les mises en garde seraient plus efficaces dans le cas des personnes qui pensent à cesser ou à commencer de fumer, et moins efficaces en ce qui concerne les fumeurs de longue date.

Un peu plus de six millions de Canadiens et de Canadiennes, soit 24 % de la population âgée de 15 ans et plus, étaient des fumeurs en 2000. Le taux de tabagisme chez les jeunes seulement grimpe à 30%. Le gouvernement dit vouloir cibler les jeunes fumeurs avec cette opération.

Le Canada est ainsi devenu le premier pays au monde à appliquer des mesures d’étiquetage aussi strictes. Ces méthodes spectaculaires font parler d’elles, mais sont-elles efficaces? Il est trop tôt pour l’affirmer d’un point de vue statistique, mais une consultation rapide auprès de fumeurs et non-fumeurs nous permet de croire que l’impact des photographies ne sera pas nécessairement celui souhaité.
Annick Le Beau, psychologue et fumeuse, constate qu’on oublie rapidement les avertissements. «C’est le principe de l’habituation, ce mécanisme d’apprentissage qui fait qu’on n’entend plus le frigo ronronner après quelques minutes. L’impact des images demeure tout de même plus percutant, mais on s’y habitue aussi. Quand je vois les photographies, je trouve ça laid, mais c’est davantage lié à une question esthétique qu’aux dangers de la cigarette.»
Les photographies provoquent souvent des réactions de colère, même chez les non-fumeurs. «Ils prennent les gens pour des imbéciles, affirme Sébastien, un ex-fumeur. Ils présentent certains cas médicaux très isolés comme étant une généralité. On aurait pu faire la même campagne pour la surconsommation d’alcool, d’héroïne ou de chocolat. J’aimerais bien voir une image du foie ou des dents d’une personne qui mange un kilo de chocolat par jour.»
Certains y voient de l’hypocrisie de la part du gouvernement. «L’impression que tout ça me donne, c’est que des gens qui travaillent dans les différents groupes de pression poussent les gouvernements à appliquer ces mesures pour justifier leurs salaires, qui sont en grande partie subventionnés par l’état, dit ainsi Philippe, un fumeur qui tente actuellement de diminuer sa consommation. Les politiciens voient dans la lutte contre le tabagisme une façon facile et économique de se faire du capital politique.»
Les plus dégoûtés par ces images sont souvent les non-fumeurs qui ne peuvent tolérer la présence de ces photos, particulièrement sur la table, à l’heure des repas. «Après une réaction d’amusement au départ, je commence à associer les photos aux cigarettes et même aux gens qui toraillent, m’a dit un non-fumeur. Cette petite ‘boîte à cancer’ encourage le rejet des fumeurs. Avant, je voyais le cancer comme une fatalité. Maintenant, les maladies sont directement associées aux paquets. C’est humainement dégueulasse, car si un ami avait un cancer, par association d’idées, je finirais par mettre ça sur son compte: «C’est de ta faute, c’était inscrit sur les paquets, il y avait même des exemples. Est-ce que tous les coups sont permis pour lutter contre le tabac?»
Les fumeurs ont bien sûr déjà trouvé des moyens de contourner élégamment la loi. Ils achètent de jolis étuis dans lesquels ils mettent leurs cigarettes. Plus rusés encore, certains commerces vendent des pochettes en carton qui ressemblent à s’y méprendre à un paquet traditionnel, mais orné d’images drôles et parfois moqueuses de la loi sur le tabac. «La fumée préserve la viande», affiche un de ces couvre-paquets…