CULTURE

Marjolaine Tremblay, ré-animatrice de momies et de dinosaures

La meilleure poudre aux yeux des films hollywoodiens, c’est elle qui la fabrique, dans les studios de George Lucas. Elle y anime les créatures de «Star Wars», son rêve d’enfant, mais elle sait aussi faire pleuvoir des grenouilles… Interview exclusive.

De film en film, ses talents contribuent à modeler l’imaginaire de millions de spectateurs. Elle n’a que 29 ans mais elle aligne sur son CV autant de succès cinématographiques que les plus cotés des réalisateurs: «Star Wars», «Men In Black», «Jurassic Park», «Magnolia»…

Marjolaine Tremblay, québécoise d’origine, travaille à Marin County, près de San Francisco. Elle est animatrice 3D chez ILM (Industrial Light and Magic, la compagnie de production d’effets spéciaux menée par George Lucas). Et sa trajectoire ressemble à un conte de fée virtuel.

Marjolaine avait cinq ans quand elle a vu «La Guerre des étoiles». Un événement fondateur. C’est à ce moment-là, dit-elle, que la petite fille a su qu’elle voulait travailler dans le cinéma. Elle s’est juré de participer un jour à la production de «Star Wars».

Déterminée à «réaliser son rêve», elle a suivi des études en animation à Montréal et a décroché en 1994 un emploi chez ILM en Californie. Elle avait 22 ans. Elle y occupe aujourd’hui le poste d’animatrice en chef et vient de terminer l’animation des films «The Mummy Returns» et «Jurassic Park 3». Elle est actuellement à l’œuvre sur la suite de la comédie «Men in Black».

Vous avez passé deux ans de votre vie à travailler sur «Star Wars: la Menace Fantôme». Quel souvenir en gardez-vous?

Il y a quelque chose de très valorisant à réaliser un rêve d’enfant. Ça vous donne un sens d’accomplissement qui vous suit longtemps. Un de mes plus beaux souvenirs est d’avoir pu aller à Londres pour visiter l’un des plateaux de tournage. George (comme l’appellent tous les employés) tournait la séquence de la mort de Quigon. J’ai eu l’occasion d’aller à la «wrap party» pour célébrer la fin du tournage, une opportunité qui n’est pas offerte à tous les animateurs. J’ai aussi eu la chance de rencontrer Ewan McGregor en personne – mais j’ai été déçue de voir qu’il était fumeur…

Comment décide-t-on des effets à produire sur un film?

Au début, à la lecture du scénario, on évalue le genre d’effets que l’on devra réaliser. C’est là que commencent les discussions entre le studio de production et ILM. Selon le budget, certaines scènes sont coupées, alors que d’autres deviennent plus longues. Mais ce qui dicte surtout un effet, c’est le tournage. À partir de ce moment, on a les mains plus ou moins liées. On peut toujours changer certains éléments plus tard (modifier le ciel, rajouter un mouvement de caméra) mais malgré tout, c’est le tournage qui dicte l’animation finale d’un personnage.

Parmi les films sur lesquels vous avez travaillé, lequel fut le plus difficile?

«The Mummy Returns» a été particulièrement difficile à cause des contraintes de temps. Nous avons reçu du réalisateur nos dernières séquences d’effets en février et nous avons travaillé jusqu’à la mi-avril. La sortie du film était prévue pour le 4 mai… Chez ILM, pour s’encourager, on se répétait la blague «May the forth be with you» («Que le 4 mai soit avec toi!», ndlr).
Je n’ai jamais fait autant d’heures supplémentaires! Normalement, je travaille 45 heures par semaine. Là, quand le film a été fini, j’avais 1345 courriers électroniques que je n’avais pas eu le temps de lire!

Quel a été votre rôle sur l’équipe de «The Mummy Returns»?

J’étais animatrice en chef. J’ai supervisé le travail de plusieurs animateurs sur deux séquences du film: la bataille entre les Medjays et les guerriers Anubis ainsi que la séquence des «momies pygmées». J’ai commencé à travailler sur ce film en août 2000, soit avant la fin du tournage au Maroc. Entretemps, les modèles 3D ont été construits et on a préparé ce qu’on appelle les cycles d’animation. Un cycle est une animation de gestes simples que l’on répète dans plusieurs plans du film, en leur donnant quelques variations d’un cycle à l’autre.
Dans la séquence des pygmées par exemple, j’ai fait trois plans de poursuite. Le premier était celui d’un pygmée qui poursuit Rick O’Connell (Brendan Fraser) et qui se fait désintégrer. Le deuxième plan, c’était un pygmée qui saute d’une vigne pour essayer d’attraper Rick mais qui se fait tuer avant d’y arriver. Le troisième était celui de cinq pygmées qui sortent des buissons et chassent le personnage de Jonathan (John Hannah).

À quel moment de la production voyez-vous votre travail intégré au film et quand pouvez-vous en évaluer la qualité?

Quand les animateurs ont terminé une scène, c’est au tour du directeur technique de s’occuper de l’éclairage virtuel et au «compositeur» de rassembler les éléments afin de mettre tout cela sur la pellicule. En travaillant, nous vérifions souvent nos animations dans la séquence pour être certains que l’action du personnage s’intègre bien dans le film. Nous regardons aussi nos animations environ une fois par semaine sur un écran géant.
Sur «Star Wars» par exemple, une fois par semaine, les collaborateurs étaient appelés à venir voir la séquence sur laquelle ils avaient travaillé. Puis nous avions nos séances de visionnement avec George (Lucas) qui nous donnait ensuite ses commentaires. Mais souvent, nous ne voyons notre scène finale qu’une fois transférée sur film.

Êtes-vous parfois déçue du produit fini par rapport à ce que vous imaginiez?

Parfois. C’est à ce moment que je me dis que je travaille pour la vision de quelqu’un d’autre et non la mienne. Mais si les réalisateurs et les producteurs sont heureux du travail, tant mieux pour eux. Quand ce sera mon film, je pourrai examiner minutieusement tous les plans autant que je le voudrai.
Mais le résultat est toujours différent de ce qu’on avait imaginé au départ. Il faut donc garder un esprit ouvert en tout temps.

Quelles sont pour vous les principales limites de la technologie actuelle en animation? Vos plus grandes frustrations?

Je travaille encore avec un ordinateur muni d’un processeur de 250 Mhz! Disons que j’ai hâte de changer de machine. C’est trop lent!

Vous avez aussi travaillé sur «Magnolia», un film pour lequel le scénario a plus d’importance que les effets spéciaux…

J’ai souvent la chance de décider sur quel film je vais travailler. J’ai voulu collaborer à «Magnolia» car c’était la première fois que ILM travaillait avec Paul Thomas Anderson («Boogie Nights») et aussi parce que ce n’était pas un film «à effets spéciaux». (Marjolaine a animé la fameuse séquence de la pluie de grenouilles, ndlr). Le défi était différent. L’impact de l’effet numérique faisait partie de l’histoire. Contrairement aux films où l’histoire est basée sur l’impact des effets spéciaux.
En travaillant sur «Magnolia», j’en ai profité pour observer le réalisateur et le monteur. Je voulais essayer de comprendre les raisons de leur choix d’un certain effet ou d’un montage particulier. En tant qu’animateur, on n’a pas toujours la chance de rencontrer les réalisateurs ou les monteurs. J’ai profité de l’occasion.

Les animateurs ont-ils un sentiment d’appartenance envers le film fini?

C’est valorisant de voir un film sur lequel on s’est engagé devenir un succès, surtout après avoir autant travaillé. Ce qui est génial c’est d’aller au cinéma les soirs de première et de voir la réaction des gens à nos plans. C’est vraiment cool, surtout quand les spectateurs applaudissent. On sort du cinéma avec un grand sourire. C’est encore plus agréable si les spectateurs restent à la fin pour voir le générique. J’aimerais beaucoup que mon travail inspire d’autres enfants à suivre leur rêve, comme moi.

Pouvez-vous imaginer faire ce genre de travail toute votre vie?

Oui et non… Oui, car j’adore l’animation et parce que sur chaque film, j’ai la chance d’apprendre quelque chose de nouveau. Non, car j’ai 29 ans et j’ai déjà des douleurs au cou, au dos et au bras droit, à cause du travail à l’ordinateur. De plus, j’aimerais bien commencer une carrière en réalisation. Mon mari et moi avons démarré une petite entreprise nommée Pukka Productions. Nous travaillons actuellement à la création d’un magazine DVD sur le vélo de montagne. Ça change des effets spéciaux.