Des spectateurs déguisés qui se mettent à chanter dans les salles de cinéma: c’est une nouvelle mélodie du bonheur interactif qu’on découvrira cet été à Lausanne et Genève.
Je déteste les comédies musicales. Le fait que des acteurs sérieux puissent interrompre l’action en se lançant dans des chants débridés m’a toujours paru une absurdité cinématographique. Mais à chaque fois que le film «La Mélodie du Bonheur» passe à la télé, je me retrouve debout devant le poste, rivée à l’écran.
Une comédie inoffensive? Il est permis d’en douter. On dit qu’un jugement sévère envers ce film de 1965 avait fait perdre son emploi à la célèbre critique de film américaine Pauline Kael, qui travaillait alors pour le magazine McCall’s. Elle avait écrit: «Nous devenons conscients que nous avons été transformés en imbéciles, d’un point de vue émotif et esthétique, quand nous nous entendons fredonner les mélodies sirupeuses et pleines de bonnes intentions de ce film.»
Des imbéciles? Il y en avait environ trois cents au Bytowne Cinema d’Ottawa le soir où j’ai assisté à la représentation du spectacle «Sing-A-Long with the Sound of Music». Et chacun d’entre eux, moi y compris, pouvait se considérer comme un imbécile heureux. Et chantant.
Imaginez la scène: un public adulte, composé en grande partie de femmes dans la cinquantaine et d’hommes homosexuels, est venu assister à cette représentation de «La Mélodie du Bonheur», version karaoke géant. La tradition, qui a débuté à Londres il y a un peu plus de deux ans, veut que les spectateurs se déguisent selon leur personnage préféré du film ou encore selon leur «joie quotidienne» (My Favorite Things, comme dans la chanson interprétée par Julie Andrews).

Avant la projection, une présentatrice habillée en fausse Heidi (les Canadiens confondent facilement la Suisse et l’Autriche) réchauffe le public et lui donne les instructions pour la soirée. Chaque spectateur reçoit un sac en plastique rempli d’objets qu’il doit sortir au moment opportun.

Il faut agiter un edelweiss en plastique quand le capitaine Von Trapp chante son hymne, faire craquer un pétard quand Maria la gouvernante et le capitaine s’embrassent pour la première fois, brandir son carton d’invitation quand le bal commence et huer la baronne, rivale de Maria… Le film «The Rocky Horror Picture Show» avait déjà développé un concept semblable de participation dans les années 70.
Ceux qui sont costumés sont invités à parader sur la scène avant le début de la séance. De nombreux hommes sont venus habillés en nonnes. Certains ont tenté de reproduire le plus exactement possible un personnage alors que d’autres y sont allés de concepts plus recherchés. La foule a particulièrement apprécié les deux hommes aux chemises blanches, marquées des chiffres 16 et 17 et dont l’un grimpait sur le dos de l’autre…

Ils faisaient référence à l’une des chansons du film s’adressant à la jeune fille du capitaine qui allait avoir 17 ans: «You are 16, going on 17…».
Les paroles des chansons sont présentées en sous-titres au bas de l’écran mais elles ne sont pas vraiment nécessaires: le public connaît «La Mélodie du Bonheur» par cœur. Et c’est là tout l’intérêt de payer 25 dollars canadiens (environ 22 francs suisses) pour voir un film qu’on a déjà regardé des dizaines de fois. Assister à une projection en compagnie de ce public expert permet une relecture de l’œuvre et lui confère un humour qui n’était pas dans la version originale.
Comme il est permis de chanter pendant le film, les spectateurs ne se privent pas non plus pour discuter. Les meilleures répliques viennent du public, qui crée une bande-son parallèle beaucoup plus intéressante que l’originale (un ramassis de clichés sur l’amour, le destin et le bonheur).
Quand le capitaine Von Trapp, rempli de remords, a voulu retenir la gouvernante qu’il venait de congédier, un spectateur s’est adressé tout haut à Julie Andrews: «Demande une augmentation!» Un geste de tendresse du même capitaine Von Trapp, qui avance la main afin de caresser la joue de sa fille de 16 ans, devient comique sous la relecture à voix haute d’un spectateur: «Attends, tu as une saleté sur le visage!»
Le public se permet même de corriger ce qui a vieilli dans le film. Quand Julie Andrews chante «tu lui appartiens» à propos d’une femme et de son époux, la foule n’hésite pas à huer son héroïne.
Imbéciles, ces adultes qui s’adressent à un écran? Oui, mais parfaitement conscients et heureux de l’être. Le producteur nord-américain du spectacle, Tom Lightburn, m’a résumé ainsi le phénomène: «C’est amusant, c’est niais, mais on passe une belle soirée. Pourquoi les adultes ne pourraient-ils pas sortir et faire les fous en public comme le font les adolescents?».
Le spectacle «Sing-A-Long with the Sound of Music» a justement connu un succès fou à Londres, New York, San Francisco et Toronto. Il sera aussi présenté en plein-air à Lausanne le 18 août 2001 (à l’Orange Open Air Cinema) et à Genève en septembre 2001 (au cinéma Arcades).
Tom Lightburn est convaincu que ce type de divertissement interactif deviendra de plus en plus fréquent. Il essaie actuellement d’obtenir les droits pour les films «Grease» et «Le Magicien d’Oz».
Ces spectacles pourraient redonner vie à de nombreux classiques mais surtout, permettre aux cinéphiles de s’approprier ces œuvres en les revisitant, que ce soit en chansons ou en dialogues. Imaginez la fameuse scène jouée par Meg Ryan au restaurant dans «When Harry Met Sally», mimée simultanément dans la salle par 500 spectateurs…
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Martine Pagé, journaliste, travaille à Montréal. Elle collabore régulièrement à Largeur.com.