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Un job de rêve: distributeur de Läkerlis

Andreas Meyer, le patron des CFF, semble taillé pour la fonction. Ne manie-t-il pas avec maestria cet art chafouin de l’excuse, devenu comme une deuxième nature chez l’ex-régie publique.

S’il y a bien quelque chose qui lui colle à la peau, qui revient chaque fois que son nom est évoqué dans une conversation, c’est son salaire. Heureux homme! Bien sûr Andreas Meyer, le patron des CFF, gagne plus d’un million par année. Mais qu’est-ce que cela prouve sinon qu’en matière d’argent, la jalousie est une chose humainement assez partagée? Surtout que son salaire en 2017 a baissé, et pas qu’un peu: 50’000 francs en moins. Alors que les bénéfices de l’entreprise, comme il vient de l’annoncer, sont en hausse, de 18 millions, pour atteindre 399 millions de francs. On frise donc la philanthropie, si ce n’est le saint martyr.

Même si ce sacrifice sublime doit quand même beaucoup à une pression ambiante sur les rémunérations des cadres des ex-régies publiques, qui ne passent plus vraiment et qu’on ne peut même plus qualifier de salaires de ministre, puisqu’un conseiller fédéral gagne moins

De la même manière, c’est la pression de la concurrence, notamment des lignes de bus qui s’apprêtent à traverser la Suisse, qui provoque une baisse annoncée des tarifs de 50 millions. Avec par exemple des billets dégriffés vendus 50% moins chers au lieu de 70%.

À ceux qui feraient remarquer qu’au regard des tarifs pratiqués et des résultats obtenus, ce geste ressemble plus à une aumône qu’à une réelle baisse dont l’usager puisse apprécier l’effet jusque dans sa chair, Andreas Meyer présente ses excuses. Il voudrait bien, mais ne peut point: pour faire plus, il faudrait trouver un accord avec 246 entreprises concessionnaires et 16 communautés tarifaires. En gros: pardon, pardon ce n’est pas de ma faute.

S’excuser, Andreas Meyer semble d’ailleurs bien aimer ça. Un peu à la manière de ses milliers d’employés annonçant au micro les divers retards et leurs mille et une causes. N’a-t-on pas vu le grand chef distribuer lui-même, en personne, dans les travées d’un Intercity, ou sur un quai de gare, des Ragusa ou des Läkerlis pour amadouer l’humeur de voyageurs groggy et rôtis par l’enfer ferroviaire?

Pour le reste, Andreas Meyer a la mine carrée et le credo affûté des managers du temps présent. Les bons résultats obtenus doivent en effet beaucoup à un programme d’économies qui fleure autant l’orthodoxie néo-libérale que le régime Duncan: RailFit.

Les grincheux – il y en a toujours et en général ils sont syndiqués – font valoir que cette cure d’amaigrissement s’est traduite par des suppressions d’emploi et un fort sentiment d’insécurité chez ceux qui ont gardé le leur.

Quant aux perfides usagers, toujours enclins à ne s’attacher qu’à l’écume des choses, à ne pas voir plus loin que le bout de leur trajet quotidien, ils sont nombreux à ricaner. À prétendre se souvenir que quand les CFF accumulaient les déficits, les trains étaient au moins remarquablement et systématiquement à l’heure.

C’est ici que la locomotive a mal aux essieux et c’est ce que la modernité managériale qu’incarne si bien un Andreas Meyer, peine expliquer. Comment en effet convaincre qu’offrir moins pour plus cher constitue un progrès mémorable?

Alors pour l’expliquer quand même, Andreas Meyer le dit autrement. Change l’ordre et le sens des mots. RailFit par exemple, sera résumé avec ce slogan dynamique comme une marche olympique: «faire plus, mieux et plus vite, avec moins». On ne dira plus non plus «mesures d’économie» et on remplacera cette sinistre expression par un constat qu’aucun honnête homme, même syndiqué jusqu’aux dents, ne pourra contester: «Nous ne pouvons plus maintenir des structures qui ne sont plus utilisées».

C’est là que l’on voit toute l’habilité et les mérites d’un grand patron, capable de ce tour de magie consistant à retourner l’acte d’accusation contre la victime. Bon sang mais c’est bien sûr, tout était donc de la faute de l’usager. Il fallait y penser et Andreas Meyer, fils de cheminot, homme de cœur, sportif compulsif, comme nous l’apprend sa fiche biographique sur le site des CFF, Andreas Meyer l’a fait. Casquette bas!