KAPITAL

Amazon met le paquet sur la Suisse

En collaboration avec la Poste, le géant américain fait une entrée en force sur le marché helvétique. Mais l’avenir du e-commerce passe peut-être aussi par les magasins physiques. Eclairage.

8,5 milliards de francs: c’est le montant des dépenses effectuées en ligne par les consommateurs suisses en 2017. Un chiffre en hausse de 700 millions de francs sur un an selon les chiffres compilés par l’Association suisse de vente à distance et l’institut d’études GfK. Cette croissance honorable est due en grande partie à la hausse des achats réalisés sur les sites basés à l’étranger (+20%). Mais cela pourrait s’équilibrer avec l’arrivée officielle d’Amazon sur le marché suisse dans les semaines qui viennent.

Grâce à un accord conclu avec la Poste, le numéro un mondial du commerce en ligne va  proposer une livraison en 24 heures à ses clients helvétiques. Ses prix seront 40% moins chers que ceux de Migros ou Coop, selon un panier comparatif établi lors d’une étude du cabinet Skyadvisory. En combinant cette offre avec un catalogue comptant plus de 229 millions de références, l’entreprise va assurément conforter sa place de leader de l’e-commerce en Suisse, et même quadrupler ses ventes dans les trois ans, selon la même étude. Amazon réalise aujourd’hui 605 millions de francs de chiffre d’affaires annuel en Suisse, devant le revendeur de matériel informatique Digitec, fort de 602 millions.

La politique d’Amazon, c’est de maximiser le volume – tout vendre pour rentabiliser – et d’amener ses services au plus proche du consommateur. «Mais l’entreprise américaine est aussi un vrai moteur en matière d’innovation», remarque Btissam Moncef, enseignant-chercheur en charge des programmes en Supply Chain Management à l’Institut supérieur de commerce de Paris. Exemple avec le nouveau service ‘Amazon Key’, qui permet au livreur d’entrer chez le client pour y déposer le colis en son absence. Ou le service d’abonnement ‘Prime’, qui garantit notamment la livraison gratuite en un ou deux jours selon les pays. Presque deux tiers (64%!) des ménages américains l’utilisent aujourd’hui, et paient l’abonnement de 99 dollars par an. De quoi garantir un flux régulier de revenus à l’entreprise, qui réalise désormais un chiffre d’affaires annuel de 136 milliards de dollars et compte plus de 450’000 collaborateurs.

Aspirateur à données

Pour croître encore et encore, Amazon mise sur le big data. «Appliqué à la logistique, cela revient à collecter des données sur le comportement des consommateurs, et à les exploiter, toujours pour mettre le client au centre du système, explique Btissam Moncef. C’est pouvoir anticiper, et optimiser la tâche. Amazon investit beaucoup dans le data comportemental, c’est-à-dire dans l’anticipation de ce que le consommateur va acheter, avec l’objectif d’optimiser la livraison.» L’entreprise investit par ailleurs dans les services cloud. Sa filiale Amazon Web Services s’affirme aujourd’hui comme le plus important hébergeur de données au monde, devant même Google et Microsoft.

Derrière Amazon, les principaux concurrents exploitent un modèle d’affaire qui repose sur la mise à disposition d’une place de marché virtuelle, en échange d’une commission prélevée sur chaque transaction. Mais comment eBay, le chinois Alibaba ou Siroop, la joint-venture de Swisscom et Coop, peuvent-ils rivaliser face à la force de frappe du mastodonte américain? «Cela peut être en vendant à leurs propres fournisseurs des référencements particuliers qui auront un effet multiplicateur sur les ventes. Les vendeurs doivent s’occuper du reste. La plateforme garantit seulement la vente, grâce à la communication, la publicité ou l’exploitation des données des clients.»

Retour au physique

L’avenir du e-commerce passerait-il aussi par les magasins physiques? C’est ce que semble indiquer l’accord signé récemment par Alibaba et le détaillant français Auchan. «Les acteurs du monde physique sont sous-représentés en ligne. C’est pourtant à ce croisement que va se développer le commerce, explique le professeur Eric Ballot, de Mines-ParisTech – PSL Research University. Car les acteurs traditionnels du e-commerce, qui ont un nombre très limité d’entrepôts et aucune implantation physique, doivent mener une course contre la montre pour livrer leurs clients dans des délais acceptables. Ils partent de loin. Ils ont de longues distances à couvrir, avec des charges qui sont très fragmentées. Le commerce physique traditionnel, de son côté, est capable d’amener de manière efficace des marchandises au plus près du consommateur.» C’est l’une des raisons qui explique l’acquisition récente par Amazon de la chaîne de supermarchés Whole Foods Market aux Etat-Unis. «À travers la mixité de ces canaux, les acteurs du e-commerce essaient de trouver des solutions pour toucher les clients sur une grande gamme de produits en parcourant le moins de distance possible avec des envois unitaires.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine Entreprise Romande.