KAPITAL

Comment j’ai vendu ma boîte

Planifiée de longue date ou réalisée de façon immédiate, la cession d’une entreprise ne doit pas se faire à la légère. Conseils et témoignages.

Il ne faut jamais sous-estimer l’intérêt d’une pause-café lors d’une réunion. Christian Vaglio-Giors, cofondateur et CEO de Neo Adverstising, est bien placé pour le savoir. En juillet dernier, le groupe suisse de presse et services numériques Tamedia a annoncé une prise de participation majoritaire dans le capital de la société genevoise de 45 personnes, spécialisée dans la publicité dans les espaces publics.

L’opération, qui est encore soumise à l’aval du Conseil de la Concurrence, devrait être bouclée d’ici à la fin de l’année. «Entre la tasse de café, où nous avons discuté de l’opération, et la transaction, il ne s’est passé que 6 semaines», indique Christian Vaglio-Giors. Etant donné les développements du marché de la communication extérieure et notre volonté de croissance, nous savions que nous devrions à l’avenir nous rapprocher d’un investisseur stratégique.»

De fait, sa société, numéro trois du secteur en Suisse (plus de 5% de parts de marché), a remporté, en l’espace de six mois, deux gros contrats: fin 2016, la concession d’affichage sur domaine public de la ville de Genève, au nez et à la barbe du leader helvétique SGA, et trois des plus importants lots de la concession d’affichage analogique sur domaine public de la ville de Zurich, attribués en juin dernier.

Dans un secteur de la presse en pleine mutation, et où la diversification est devenue un maître mot, l’opération avec Neo Advertising va permettre au plus grand groupe media suisse Tamedia, déjà très présent dans le digital et la publicité, d’étendre son offre avec la publicité extérieure (out-of-home). Et ainsi multiplier les points de contact qu’elle propose à ses clients.

 Ne pas agir en urgence

Mais si tout s’est fait assez vite entre ces deux acteurs qui se connaissaient et travaillaient déjà ensemble — Tamedia est un client de Neo Advertising depuis plusieurs années –, céder une entreprise, dans sa totalité ou partiellement, est souvent une opération de longue haleine. «Planifier et réaliser la vente d’une entreprise demande généralement entre 24 et 36 mois», explique Claude Romy, directeur général du cabinet lausannois Dimension, spécialisé dans l’évaluation et la vente d’entreprises. En ce qui concerne les entreprises familiales, ce laps de temps peut même être sensiblement plus long.

«Transmettre son entreprise, c’est un processus qui se prépare et qui prend beaucoup de temps, assure Cyril Schaer, secrétaire général de Relève PME, une association visant à faciliter et favoriser la transmission des petites et moyennes entreprises. Il est malheureusement fréquent de voir des entrepreneurs réticents à se confronter à la question de leur succession et repousser leur réflexion à des jours meilleurs, jusqu’au moment où les circonstances de la vie ou la marche des affaires les contraignent à organiser la transmission de leur entreprise dans l’urgence. Il s’agit d’être conscient qu’une mauvaise planification d’une transmission d’entreprise peut avoir des conséquences désastreuses, aussi bien pour le cédant que pour le repreneur, et ce tant d’un point de vue financier qu’humain.»

Quels que soient les motifs qui poussent à vendre — transmission, entreprise arrivée à son apogée, possibilité de profiter de la consolidation d’un secteur, différends entre plusieurs propriétaires –,  le processus de vente comporte trois étapes clés: «L’évaluation et la préparation, les contacts et négociations préliminaires, la due diligence et finalisation de l’opération», résume Claude Romy.

Au niveau de la préparation, différents scénarios doivent être étudiés: une succession au sein de la famille est-elle possible, peut-on mettre en place une reprise par le management de l’entreprise, dans le cadre d’un MBO (management buy-out), ou privilégie-t-on la vente à un tiers?

Pour espérer être vendue au meilleur prix, la mariée doit également être la plus belle possible. «Il faut veiller à avoir un bon bilan ainsi qu’un niveau d’endettement correct», précise l’avocat Luc André, spécialiste du droit des sociétés et associé au sein de l’étude lausannoise Bourgeois Avocats. Pour améliorer sa rentabilité, l’entreprise peut ainsi avoir à procéder à des restructurations, notamment en matière d’effectifs.

Vient ensuite la période d’examen du marché, afin de cibler les potentiels repreneurs, d’identifier les acquéreurs. Pour accompagner cette phase, différents acteurs peuvent être mandatés, banques, fiduciaires, sociétés de M&A (fusions-acquisition), spécialistes de la vente d’entreprise.

Une fois l’acquéreur identifié, «les choses sérieuses commencent», dit Luc André, qui estime à deux ou trois mois le temps nécessaire à la finalisation de la transaction une fois que le vendeur et l’acquéreur ont chacun montré leur intérêt dans l’opération.

Une première lettre d’intention va fixer le cadre de la transaction, puis vient la rédaction du contrat, un document de 10 à 20 pages, dans lequel seront précisés tous les détails de la transaction, la fixation du prix, les modalités de paiement (fixe ou variable, sachant qu’il est dans l’intérêt du vendeur d’être payé en une fois), les garanties apportées par le cédant, sur l’existant, la sincérité des comptes, l’absence de litiges, etc. «Ces points doivent être rédigés aussi précisément que possible», indique Luc André. Si l’objectif est d’avoir un contrat clair, compréhensible par n’importe quel tiers et d’ôter le maximum d’incertitudes, inutile de tomber dans les excès à l’américaine, où les dossiers peuvent comporter une cinquantaine de pages.

Il existe aussi des facteurs d’échec. Pour Jean-Luc Chenaux, avocat associé au sein du cabinet Kellerhals Carrard et professeur de droit commercial à l’Université de Lausanne, «la culture de l’entreprise achetée doit se marier avec la culture de l’entreprise acheteuse; cet aspect-là des choses ne doit pas être sous-estimé». Pas toujours facile non plus, pour une PME, d’en reprendre une autre. Les clients de l’entreprise peuvent ne pas apprécier le nouveau propriétaire.

«Plus une entreprise est petite, plus elle est personnalisée. Quand ces entreprises sont transmises, il importe que le repreneur puisse succéder à la personnalité du fondateur, pour pérenniser l’entreprise.» Dans ces transactions, l’acquéreur demande d’ailleurs souvent au propriétaire de rester. Ce qui n’est pas toujours évident à gérer. Difficile pour l’ancien propriétaire de perdre son autorité, d’entrer dans une forme de hiérarchie. Cette période dure généralement entre six mois et un an. Mais ne devrait pas excéder ce temps. Sinon, mieux vaut céder la majorité et conserver une part minoritaire du capital… Jusqu’à ce que tout soit vendu.

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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.