TECHNOPHILE

Lumière sur la révolution photonique

Dans un avenir proche, les photons, et non les électrons, pourraient être les accélérateurs de nos systèmes de communication.

La photonique promet un traitement des données à la vitesse de la lumière et la création d’une série de nouveaux appareils utiles à la société. Cette technologie qui remplace les électrons par les photons est décrite comme l’innovation majeure du XXIe siècle, même si elle reste pour l’heure cantonnée aux laboratoires.

Mais il ne faudra pas patienter encore trop longtemps avant d’entrer dans cette nouvelle ère de la photonique, estime l’entrepreneur Ton Backx. Le directeur de l’Institut pour l’intégration photonique et de Photon Delta à l’Université technique d’Eindhoven (TU/e) est à la fois un acteur de la recherche fondamentale, et de la mise en place de la technologie et de l’infrastructure qui rendront cette révolution possible.

Qu’est-ce que la photonique?
On connaît mieux les circuits microélectroniques. Nos ordinateurs et la quasi-totalité des appareils que nous achetons en sont composés. La photonique ressemble à la microélectronique, mais au lieu d’utiliser des électrons pour transporter les informations, elle a recours aux photons, des particules d’énergie lumineuse.

Pourquoi se détourner de l’électronique?
Les centres de données recourent encore à la microélectronique pour traiter les données. Or, cette technologie est gourmande en énergie. En 2016, dans les centres de données et de télécommunication, 5% de l’énergie électrique générée dans le monde ont été utilisés pour le traitement des données – et ce chiffre est multiplié par environ 1,7 tous les ans. En outre, avec l’Internet des objets, Netflix, Facebook, YouTube et d’autres activités Internet, la capacité des centres de données double chaque année.

La microélectronique ne permettra pas d’augmenter le trafic au même rythme que celui observé depuis vingt ans. Nous devons donc très rapidement trouver une autre solution.

Quels sont les atouts de la photonique?
Les puces microélectroniques les plus sophistiquées consomment environ un picojoule pour traiter un bit de données contre moins d’un femtojoule pour les technologies photoniques. Ces dernières consomment donc 1000 fois moins d’énergie. Les photons permettent aussi de couvrir un spectre de fréquences 1000 à 10’000 fois plus large que les électrons. Grâce à la photonique, il est donc possible d’atteindre de plus hautes fréquences, tout en utilisant beaucoup moins d’énergie.

Quelles applications irréalisables avec la microélectronique deviennent possibles avec les circuits photoniques?
La photonique permet de construire un circuit unique LIDAR (à la différence du radar qui utilise des ondes radio, la technologie LIDAR se sert des ondes lumineuses, ndlr). Ce dernier joue un rôle clé dans le développement des voitures autonomes. En effet, les sociétés capables d’intégrer toutes les fonctionnalités requises sur un seul circuit, à un prix en phase avec les attentes de l’industrie automobile, ont un bel avenir devant elles.

La photonique permet également de concevoir des systèmes de capteurs pour la tomographie en cohérence optique (OCT). Cette technique s’apparente à celle des ultrasons et permet de visualiser en 3D les tissus à l’échelle d’une cellule et d’examiner le métabolisme cellulaire. Elle est déjà utilisée, mais nécessite de nombreux équipements. La photonique permet de remplacer tous ces équipements par un seul circuit offrant, en outre, une meilleure résolution et une précision accrue.

Enfin, la photonique peut être utilisée en aéronautique. En reliant un circuit photonique intégré à un faisceau de fibres optiques, il est possible de récréer un système nerveux semblable à celui du corps humain, en vue de contrôler en permanence le poids des zones les plus lourdement chargées d’un avion. Cette technologie est en cours de développement et des prototypes ont déjà été intégrés à des appareils d’Airbus et de Boeing.

Comment crée-t-on des circuits intégrés à partir de la lumière?
Les circuits microélectroniques comportent des composants actifs (transistors) et des composants passifs (résistances et condensateurs). En reliant ces trois éléments via des fils électriques, il est possible de créer tout type de fonctionnalités. Dans le cadre de l’intégration photonique, ces trois éléments sont remplacés par un amplificateur optique, un polariseur et un déphaseur. Couplés à des guides d’ondes lumineuses, ces composants permettent de développer les mêmes fonctionnalités qu’avec la microélectronique. La seule différence réside dans le fait que les informations sont transportées par des photons et non des électrons.

Pourquoi le déploiement des circuits photoniques prend-il autant de temps?
La complexité des circuits photoniques intégrés est actuellement comparable à celle des circuits microélectroniques au milieu des années 1970. Nous sommes en mesure d’intégrer environ 3000 composants sur un circuit, ce qui représente une densité d’intégration plutôt faible par rapport aux milliards de composants que peut comporter un circuit microélectronique. L’augmentation de la densité d’intégration fait partie des principaux défis de la photonique.

Quelles seront les premières applications des circuits photoniques intégrés?
Le principal marché de cette technologie sera celui des données et des télécommunications. La vitesse de communication devrait, grâce aux interconnexions optiques, atteindre 400 Go par seconde d’ici à 2019, puis augmenter rapidement à 1-2 To par seconde les années suivantes. Seuls les circuits photoniques intégrés rendront possibles de tels débits.

Le même raisonnement s’applique au passage de la 4G à la 5G. Nous devons remplacer les stations de base par des dispositifs beaucoup moins volumineux, moins gourmands en énergie et capables de gérer un plus grand trafic. D’où le recours à la technologie optique. Les circuits photoniques intégrés devraient s’imposer comme une nouvelle technologie incontournable et permettre de résoudre bon nombre de problématiques auxquelles la société doit faire face.

De quel genre de problématiques parlez-vous?
Pour évoluer vers un système de santé préventive, il sera nécessaire de déceler les maladies comme le cancer à un stade très précoce et à faible coût. Les seuls systèmes de capteurs rendant cela possible reposent sur la photonique intégrée, qui permet de détecter le cancer et de contrôler les données sanguines. Les villes intelligentes ont, quant à elles, besoin de mesurer la pollution de l’air. Et là encore, ce sont les circuits photoniques intégrés qui offrent cette fonctionnalité à un prix raisonnable. De nombreuses autres applications encore inimaginables aujourd’hui verront également le jour.

Quel rôle joue le silicium?
Ce matériau est très utilisé dans le domaine de la photonique, tout simplement car nous disposons des infrastructures pour le traiter et de nombreuses usines capables de produire des circuits en silicium en masse partout dans le monde. Il présente cependant des inconvénients, en particulier des pertes élevées (au moins 10 fois supérieures à celles enregistrées par le phosphure d’indium) et ne permet pas de produire des composants actifs. Il doit en effet toujours être associé à un autre matériau pour émettre de la lumière au sein d’un circuit photonique. Le phosphure d’indium est, quant à lui, beaucoup moins développé que le silicium. Pour produire des matériaux et des circuits composés de ce semi-conducteur à des échelles comparables à celle du silicium, il sera nécessaire d’investir davantage dans les infrastructures de base.

Comment votre équipe à la TU/e fait-elle progresser la technologie des puces photoniques?
Nos recherches fondamentales visent à classer des matériaux en fonction de leurs propriétés physiques et à trouver des solutions pour synthétiser ces matériaux afin de les intégrer à la fabrication d’appareils. Nous élaborons des normes similaires à celles du secteur de la microélectronique. Elles portent notamment sur les trois éléments de base (amplificateur optique, déphaseur et polariseur), autour desquels s’articulent les blocs fonctionnels, puis les circuits dotés des fonctionnalités recherchées. Ces normes prévoient également la création de bibliothèques logicielles permettant de concevoir des circuits photoniques intégrés.

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Biographie

Ton Backx a entamé sa collaboration avec TU/e dans les années 1970, à la suite de recherches menées pour Philips sur l’optimisation de processus de contrôle mobiles destinés à tout type d’applications industrielles. Il a obtenu son Master en ingénierie électrique en 1976 et son doctorat en 1987.

Ton Backx a ensuite dirigé avec succès plusieurs sociétés utilisant des processus de contrôle avancés, tout en enseignant à temps partiel à la TU/e à partir de 1992. En 2006, il a été nommé doyen de la Faculté d’ingénierie électrique. Dix ans plus tard, il a quitté son poste de doyen pour occuper la fonction de CEO du nouvel Institut pour l’intégration photonique et de Photon Delta de la TU/e, organisant toutes les activités relatives à l’intégration de la photonique dans et autour de l’université.

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Petit dictionnaire de la photonique

Théorie quantique
Théorie dans laquelle, contrairement à la mécanique classique, les énergies et les autres éléments sont «quantifiés» ou définis sous forme de blocs (quantas) présentant des propriétés d’ondes et de particules.

Photon
Particule lumineuse élémentaire présentant la dualité onde-particule (soit dotée des propriétés d’ondes et de particules). La définition moderne du photon repose sur les travaux d’Einstein, qui l’a utilisée pour expliquer des résultats d’expériences ne correspondant pas au modèle d’onde lumineuse utilisé jusqu’alors. Un photon se déplace toujours à la vitesse de la lumière dans le vide.

Laser
Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation. Appareil émettant de la lumière par amplification optique grâce à une radiation électromagnétique stimulée. Le laser a de nombreuses applications telles que la fibre optique, l’impression laser ou encore la chirurgie de pointe.

Fibre optique
Câbles permettant la transmission de la lumière entre deux points. En communication, cette technologie permet de couvrir des distances plus importantes que les câbles classiques et offre un meilleur débit. Elle est fabriquée à partir de fibre de verre (dioxyde de silicium) ou de plastique d’un diamètre similaire au cheveu humain.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 15).