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Les indices d’un complot contre la présidence iranienne

L’Iran est désormais la plus grande prison du monde pour journalistes. A trois mois des élections, les ultra-conservateurs semblent prêts à tout pour déstabiliser le président Khatami.

Il n’y a pas que les journaux qui disparaissent en Iran. Les journalistes aussi. A la mi-février, au moment où Largeur.com publiait mon reportage sur les difficultés de la presse, une de mes interlocutrices était engloutie par la répression en cours contre les milieux réformateurs.

Fariba Davoudi Mohadjer, qui est à la fois reporter de la rubrique société et chargée des relations publiques au journal Hambastegui, a été arrêtée à son domicile jeudi 15 février sur ordre du Tribunal révolutionnaire de Téhéran. La nouvelle n’a été rendue publique que le lundi suivant. La police a fouillé sa maison durant sept heures.

D’après son mari, la jeune femme de 35 ans a été battue par les agents durant les opérations de fouille. Ils lui auraient même arraché son tchador. Elle ne peut plus donner de nouvelles: la communication téléphonique de la prison lui a été interdite il y a quelques jours.

L’association Reporters Sans Frontières a protesté le 19 février contre cette arrestation dans une lettre au responsable de la justice en Iran, l’ayatollah Shahroudi, précisant que l’Iran était désormais la plus grande prison du monde pour journalistes.

Fariba Davoudi Mohadjer était très engagée aux côtés de la presse réformatrice. En 1999, elle faisait partie de la rédaction du quotidien Khordad (Juin, mois de la victoire du président Khatami en 1997). Cette publication a été fermée en octobre 1999 et son éditeur, un religieux très proche du président Khatami, a été condamné à cinq ans de prison ferme par le Tribunal Spécial du Clergé pour «propagande anti-islamique».

Après Khordad, la même rédaction a lancé le quotidien Fath (Victoire), qui a été fermé par la justice en avril 2000, avec une vingtaine d’autres titres réformateurs. Depuis novembre dernier, la jeune femme travaillait pour Hambastegui, un journal dont elle regrettait la modération.

Selon son mari, la police a emporté des articles, plus de 200 livres et des communiqués du Bureau de Consolidation de l’Unité, le principal mouvement estudiantin réformateur du pays.

Lundi 26 février, le journal conservateur Ressalat annonçait pour sa part que ce sont 30’000 pages de documents relatifs à l’ayatollah Montazeri qui ont été saisies chez Fariba Davoudi Mohadjer.

Montazeri, 78 ans, est le principal dissident religieux en Iran, placé en résidence surveillée depuis plusieurs années pour avoir critiqué le Guide suprême et pour avoir plaidé en faveur de la séparation de la religion et de la politique.

Pour les observateurs, l’arrestation de Fariba Davoudi Mohadjer s’inscrit dans une gigantesque opération mise au point par les ultra-conservateurs pour déstabiliser le président Khatami, à trois mois des élections.

Le 8 février, le juge Gholam-Hossein Mohseni-Ejei dénonçait pour la première fois des «liens criminels» entre l’ayatollah Montazeri, dont le fils est interrogé en prison depuis des mois, et une série de dissidents actuellement en prison, laïques pour la plupart.

«Notre enquête démontre que la maison Montazeri a distribué d’énormes sommes d’argent à des mouvements ou à des individus anti-révolutionnaires», a lancé Ejei. Et le juge de citer entre autres les noms de Hassan Yousseffi Eshkevari (un religieux en attente d’un second verdict après avoir été condamné à mort par Ejei en personne pour déviation doctrinale), le nationaliste Ezzatollah Sahabi et l’étudiant Ali Afshari, ainsi que le journaliste Akbar Gandji, qui vient d’écoper de 10 ans de prison et 5 ans d’exil intérieur pour ses enquêtes sur les assassinats en série d’intellectuels.

Les enquêtes de Gandji accusaient justement le juge Mohseni-Ejei et deux de ses amis d’avoir signé les fatwas secrètes autorisant ces meurtres pour «apostasie» (abandon de la foi).

Les premiers indices de ce nouveau complot contre le président remontent au 3 janvier, avec la disparition d’Ezzatollah Sahabi, 75 ans, figure historique de l’opposition laïque et du leader étudiant Ali Afshari, 28 ans, lors d’un transfert entre le tribunal et leur cellule de prison. Les réformateurs en sont convaincus: les deux opposants sont actuellement soumis à une intense torture psychologique dans un lieu secret afin de leur extorquer des aveux télévisés qui justifieront une nouvelle vague de terreur.

Lundi 26 février, on apprenait que la famille d’Ezzatollah Sahabi avait enfin été autorisée à le voir. Or ce dernier, pourtant habitué aux séjours en prison avant et après la révolution islamique, était dans un tel état qu’il n’a même pas reconnu les siens.

Selon les premières informations qui filtrent dans la presse conservatrice, les aveux de Sahabi sont déjà «tellement graves» que le chef du Mouvement de la liberté (parti nationaliste et laïc, semi-légal) Ibrahim Yazdi, actuellement à l’étranger pour des soins médicaux, n’ose plus revenir à Téhéran.

Les partis laïcs ont toujours été accusés par les conservateurs de pratiquer un «Islam américain» (interprétation libérale du Coran, faisant de la religion une question personnelle et non politique). Or la nouveauté consiste aujourd’hui à faire l’amalgame entre les religieux réformateurs de Khatami (partisans de la République islamique) et les mécréants de l’«Islam américain» (partisans de la République tout court).