LATITUDES

«Le prix des médicaments devrait être fixé en fonction de leur utilité»

Le médecin alémanique Christian Kind appelle les entreprises pharmaceutiques à prendre leurs responsabilités. Interview.

Certaines maladies rares se voient négligées par le système de santé, attirant peu l’attention du grand public et surtout des pharmas. Comment alors leur donner une légitimité pour que les patients atteints de telles pathologies bénéficient des mêmes prestations qu’un malade plus «commun»? Le point avec Christian Kind, spécialiste en pédiatrie et ancien président de la Commission centrale d’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales.

Les maladies rares sont-elles le parent pauvre de notre système de santé?

Il est difficile de voir les maladies rares comme un tout: la seule chose qu’elles ont en commun est leur rareté. C’est un problème fondamental. Certaines pathologies rares ne font l’objet d’aucune recherche et les patients sont négligés, alors que d’autres sont bien connues et bien traitées, car elles sont intéressantes pour les pharmas et ont le pouvoir de faire avancer la recherche. C’est le cas, par exemple, de certains cancers infantiles, pour lesquels l’industrie s’engage. Il est facile de rassembler des soutiens et des fonds autour de ces drames qui touchent les plus jeunes. D’autre part, il ne faut pas oublier que certaines maladies qui ne sont pas rares, comme l’infirmité motrice cérébrale ou le syndrome de Down (anomalie chromo­somique qui provoque la trisomie 21, ndlr), soulèvent beaucoup de questions auxquelles on n’a pas de bonnes réponses, mais n’attirent pas beaucoup d’attention. Rares ou non, les maladies qui n’arrivent pas à trouver une place dans la conscience publique se retrouvent souvent  dans une situation de «parent pauvre».

Les traitements pour les maladies rares, lorsqu’ils existent, sont souvent très coûteux. Qui doit payer?

Aujourd’hui, le principe est le suivant: si l’efficacité du traitement est prouvée, s’il s’agit de l’option la plus économique disponible sur le marché, et si la personne en a besoin, alors notre système d’assurance sociale doit le prendre en charge.

Jusqu’où la communauté doit-elle payer?

En Suisse, la solidarité fonctionne dans la tête des gens, elle est même très élevée. La population pense que la communauté doit s’engager financièrement aussi pour des traitements coûteux.

Pourtant, certains malades doivent constamment se battre contre leur assurance pour que leur traitement soit reconnu. Comment agir sur ce point?

Dans des situations similaires, il existe de grandes différences d’une caisse maladie à l’autre. En ce sens, l’idée d’une caisse unique constitue une piste intéressante pour rendre le système plus équitable. Mais je pense que le point principal de cette problématique se situe au niveau de l’industrie. Les prix pratiqués pour les traitements ne sont que partiellement justifiés par les coûts de développement. Aujourd’hui, il est important que les entreprises pharmaceutiques prennent leur part de responsabilité.

Comment faire pour que les sociétés pharmaceutiques changent d’attitude?

Des éthiciens et des philosophes appellent à la création d’un modèle international dans lequel le prix des médicaments serait fixé en fonction de leur utilité et non de leurs coûts de développement. Dans un tel système, les sociétés pharmaceutiques ne seraient plus libres de fixer leurs prix comme elles le font aujourd’hui. Le fonctionnement actuel manque de transparence. Mais si l’on compare avec les prix pratiqués à l’étranger, on remarque que l’industrie en Suisse a beaucoup de marge de manœuvre. Cette idée serait évidemment difficile à mettre en œuvre et reste pour l’instant théorique, mais elle déboucherait  sur un modèle plus durable. Actuellement, de nouveaux médicaments hors de prix arrivent chaque jour sur le marché et les entreprises pharmaceutiques dégagent des sommes folles. On ne peut pas continuer ainsi.

Serait-il possible de rentabiliser différemment les sommes investies pour le développement de tels médicaments?

La somme employée pour traiter une seule personne atteinte d’une maladie rare pourrait en principe servir à couvrir les frais de nombreux malades pour une pathologie semblable avec des traitements meilleur marché. Dans un arrêt sur le traitement de la maladie de Pompe (une maladie génétique qui provoque notamment un affaiblissement musculaire progressif et des difficultés respiratoires, ndlr) rendu en 2010, par exemple, le Tribunal fédéral a souligné que le montant nécessaire pour soulager de manière limitée une personne atteinte de cette pathologie pourrait financer un meilleur traitement pour de nombreux patients souffrant de problèmes respiratoires chroniques d’une autre nature.

Constatez-vous une évolution positive dans la perception des maladies rares? 

On en parle beaucoup plus que par le passé, ce qui est une bonne chose. Malgré tout, les malades doivent encore souvent parcourir un long chemin jusqu’à ce qu’un diagnostic soit posé. J’espère que le développement de plateformes d’information, prévues par le concept «maladies rares de la Confédération» (lire p. 27), permettra une amélioration sur ce point et que les patients trouveront plus rapidement le meilleur spécialiste pour s’occuper d’eux. Quant au manque de recherche autour de certaines pathologies, je  suis plus sceptique. L’industrie va là où se trouvent les profits, et cela sera difficile à corriger.

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Regard éthique

Christian Kind a présidé la Commission centrale d’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales de 2009 à 2016. Professeur en pédiatrie, il a occupé le poste de médecin-chef à l’Hôpital des enfants de Suisse orientale jusqu’en 2012. Il est coauteur d’un ouvrage sur les diagnostics prénataux et préimplantatoires intitulé «Sélectionner ou accepter?» paru en 2010.

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Une version de cet article est parue dans In Vivo magazine (no 12).

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