Pendant que les Américains préparent leur bouclier anti-missile, le couple franco-allemand patine sur son projet de force de réaction rapide. Lenteur, lenteur…
Il fallait s’y attendre: la nouvelle administration américaine ne va pas faire de cadeaux à l’Union européenne. Deux réunions de haut niveaux qui ont eu lieu ces jours-ci à Munich et à Bruxelles ont mis en évidence les aspérités du dossier sur le plan essentiel et primordial de la coopération militaire.
Dimanche à Munich, en présence du chancelier Schröder et face à deux cents personnalités spécialisées dans la chose militaire, les Américains emmenés par le nouveau secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld se sont attachés à montrer le caractère indispensable du déploiement du bouclier anti-missile (NMD).
Mais personne n’a osé leur demander d’où pouvaient bien venir les dangereux missiles! Et quand les Américains ont contesté le droit des Européens de se doter d’une défense commune, les ministres européens ont fait mine de ne pas comprendre. Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, s’est empressé de répéter que «l’Europe dépend des Etats-Unis pour sa défense» et que «le Kosovo a montré que nous avons besoin des Etats-Unis pour agir».
Son collègue français de la Défense, Alain Richard, a réaffirmé, lui, que «l’Europe de la défense n’est pas et ne sera pas une alternative à l’Alliance atlantique».
Face à de telles assertions, on reste pantois. Car ou bien Fischer et Richard prennent leurs confrères américains pour des imbéciles de premier ordre, ou bien ils ne croient pas à ce qu’ils font. Dans les deux cas, leur position est en retrait par rapport à la décision prise en décembre 1999 de créer une force de réaction rapide de 60’000 hommes capable d’intervenir dès 2003. D’autant plus que ce corps va commencer à fonctionner cette année déjà.
Le fond du problème en réalité réside dans les incertitudes politiques caractérisant la phase actuelle de développement de l’Union. Les choix essentiels sont faits tant en ce qui concerne l’élargissement, le renforcement du pouvoir central, la politique de défense et la politique étrangère communes, mais les modalités et le rythme ne sont pas fixés. On en a eu une preuve lors du petit sommet franco-allemand du 31 janvier.
Dans les très grandes lignes, deux conceptions s’affrontent: celle des Français, favorables à une confédération souple, un peu à la manière de la Confédération helvétique issue en 1815 de la Restauration et des Traités de Vienne. Un assemblage d’Etats-nations conservant leur personnalité propre et de larges autonomies.
Les Allemands, eux, seraient plutôt proches des thèses des radicaux de 1848: une fédération solide et le transfert au centre des responsabilités essentielles en matière de politique étrangère, économique, militaire. Mais ce ne sont là que des tendances très vagues car l’Europe à faire ne pourra ressembler ni à la Suisse de 1815, ni à celle de 1848. Ne serait-ce que parce que sa construction ne se fait pas dans la violence, mais dans la paix, par une démarche purement idéologique et volontaire.
Face au colosse américain, il s’agit donc de louvoyer. C’est ce que font Fischer, Richard et les autres avec plus ou moins de bonheur. Le problème de fond est qu’en louvoyant, on avance très lentement et que la lenteur n’a jamais été politiquement payante.
