CULTURE

Quand «Le Roi danse», les critiques s’enrhument

Le dernier film de Gérard Corbiau est un épouvantable navet. Les médias français l’ont pourtant accueilli avec bienveillance et respect. Il y a une explication.

Comment économiser quinze francs suisses? En ne vous laissant pas berner par la campagne de marketing qui voudrait vous faire prendre «Le Roi danse» pour un bon film. La dernière réalisation de Gérard Corbiau est à peine digne d’une sitcom made in TF1. D’ailleurs, le réalisateur belge aurait beaucoup à apprendre d’un séjour chez Josée Dayan.

On ne peut pas dire que «Le Roi danse» soit un mauvais film: en réalité, ce n’est pas un film. C’est, au mieux, un outil de vulgarisation historique pour adolescents analphabètes, qui trace à gros traits les rapports de Louis XIV (Benoît Magimel) avec les arts censés asseoir son pouvoir absolutiste. Lesquels sont incarnés par Molière (Tcheky Karyo) pour le théâtre et Lully pour la danse (Boris Terral).

Pourquoi cet épisode-là de l’histoire de France? Parce que Corbiau connaît la musique, comme en témoigne la place énorme qu’elle prenait dans son «Maître de musique» puis dans «Farinelli». Et parce que l’épisode en question recèle son lot de scènes dramatiques 100% authentiques: tant la mort de Molière (sur scène) que celle de Lully (terrassé par une gangrène contractée en s’écrasant le pied avec le bâton qui lui servait à battre la mesure) fournissent au réalisateur le genre de moments sur-dramatisés qu’il affectionne et qui lui font croire que son incapacité à mettre en scène ne se voit pas trop.

Car «Le Roi danse» ne raconte rien. Il montre Lully le Florentin faire ses premiers pas à la cour de France (et traiter avec insolence le jeune roi), Louis XIV prendre le pouvoir absolu (sous l’œil rageur de la reine mère), Lully se marier pour faire bon genre (alors qu’il aime bien embrasser de jolis garçons dans des bordels de luxe), Louis XIV ordonner la construction d’un somptueux palais sur les marécages de Versailles (il tombe dans l’eau et chope un gros rhume), etc. jusqu’à la mort de Lully des suites du fameux accident.

Evidemment, pour nous faire croire qu’il s’agit quand même d’un film, Corbiau et son épouse scénariste ont injecté une bonne dose de psychologie dans ces figures historiques. Hélas, c’est pour mieux en faire des personnages hystériques: toutes les articulations véridiques (les Corbiau ont travaillé avec le musicologue et romancier Philippe Beaussant, expert en musique baroque française) sont «motivées» par des sentiments élémentaires affichés avec une subtilité digne des personnages de «Dynasty».

Exemple: Molière et Lully écrivent ensemble de fameuses comédies-ballets. Et puis, Lully se sépare de son complice. Pourquoi? Réponse du film: parce que le gay Lully est amoureux de Louis XIV, et que Molière rencontre davantage les faveurs du roi.

Comment montrer la vexation du Florentin? En le laissant jeter des regards noirs après la création à succès du «Bourgeois Gentilhomme», puis dire carrément à Molière, avec une moue mauvaise: «Il n’en a que pour ta musique». Et puis, pour s’assurer que le message est bien passé, montrer Lully détruire partitions et meubles dans sa maison. Car Lullly n’est pas content du tout.

Et Lully est un criseux. Il court, il crie, il lance des regards assassins, il serre les dents quand le roi couche avec une favorite… La caméra lui emboîte le pas: et vas-y que je te fasse un travelling en avant et en arrière, des mouvements psychotiques… Tout le reste est à l’avenant, saupoudré de lieux communs qui tiennent lieu de maximes (la musique guérit tous les maux, les méchants arrivistes seront toujours punis, on est seul quand on est roi, etc…)

Le pire, c’est que le prétexte culturel (alias la musique baroque française) ne sort guère gagnant de ce film à gros budget et à grosses ficelles. Privilégiant les entrées de danses graves et martiales, Corbiau donne l’impression que Lully n’a composé que cela. Résultat: l’adolescent analphabète visé par le film risque de penser que la musique de ce compositeur n’est que grandiloquente, et je parie que le disque de la BO fera un four, contrairement à celui de Farinelli qui avait cartonné.

Vous l’aurez compris, il s’agit sans doute du nanar de l’année. Et le pire, c’est que les médias français, d’ordinaire si durs avec les films seulement médiocres, se tiennent fort bien face à ce sous-produit en faux luxe. Partout fleurissent des interviews et avant-premières.

L’un des grands quotidiens nationaux a même réussi à faire paraître trois articles différents le jour de la sortie en évitant soigneusement de publier une simple critique du film. Corbiau dispose d’un bureau de presse très efficace, ou alors je ne m’y connais pas. Après tout, il a été à bonne école: à l’instar de Louis XIV, il a compris que le recours à la musique est le meilleur moyen de faire taire ses détracteurs…