Un dispositif sans précédent a été mis en place pour relayer le moindre détail des compétitions. A Sydney, les journalistes sont deux fois plus nombreux que les athlètes… Parmi eux, le correspondant de Largeur.com.
Les Jeux de Sydney commencent demain et tout indique que ce seront les Olympiades les plus cinglées de l’Histoire. Les dernières journées de préparation ont été mises à profit pour parfaire un dispositif absolument délirant destiné à battre tous les records en matière de logistique et de folie organisationnelle.
Un seul exemple: 3’500 autobus, conduits pour la plupart par des chauffeurs ne connaissant pas Sydney et destinés à transporter 20’000 journalistes chargés de couvrir les exploits de… 10’000 athlètes. Vous avez bien lu: deux fois plus de journalistes que de sportifs!
Quelques signes ne trompent pas. Le Media Village où sont logés près d’un quart des journalistes est installé dans un ancien asile psychiatrique. On peut être sûr qu’il ne s’agit pas d’un trait d’humour du Comité international olympique (CIO), peu enclin à la plaisanterie.
La preuve, cet avertissement prononcé mercredi soir en deux langues pendant la répétition générale de la cérémonie d’ouverture: «Le feu d’artifice va commencer. En raison du bruit et de la fumée qu’il va provoquer, nous vous conseillons de ne pas sortir du centre de presse». Comme on n’est pas encore totalement engourdis, on est tous sortis au plus vite pour voir le spectacle. Et nous sommes toujours vivants.
J’allais oublier, le centre de presse est situé dans un immense hangar à bestiaux où se tient d’habitude le Salon de l’agriculture. Comme dans les chambres du Media Village, il règne ici une température polaire. Le système de climatisation géant fonctionne 24 heures sur 24, probablement pour éviter que les cerveaux des journalistes n’arrivent à ébullition…
Ici, à Sydney, c’est en fait la rencontre d’Ubu et de Kafka, un pays de cocagne et de gratuité pour les porteurs d’accréditations, mais où le Big Brother Antonio Samaranch, le fameux président du CIO, règne en maître absolu. Les règles sont strictes: ne pas fumer, ne pas circuler en vélo ou en trottinette, marcher dans le sens des flèches, se servir d’une carte VISA (la seule carte de crédit acceptée) et porter si possible une tenue correcte.
Question tenue justement, l’uniforme des volontaires est particulièrement réussi. Les volontaires, ce sont ces 60’000 Australiens qui ont accepté de donner plusieurs semaines de leur vie aux Jeux et de rester debout plusieurs heures par jour pour pouvoir renseigner à tout moment des journalistes américains ou japonais stressés ou égarés parce qu’ils n’ont pas eu le temps de lire les nombreux guides en couleurs qu’on leur a distribués…
La tenue des volontaires, donc: un grand manteau de style «bushman» (sauf qu’il est en tissu synthétique bleu ciel) estampillé Sydney 2000 et un chapeau genre «Indiana Jones» mais d’un blanc immaculé – avec le logo de la marque, Nike. On pourrait croire que ces gentils volontaires viennent de s’échapper d’un comics destiné aux enfants. Le plus fou, c’est quand ils se mettent à trois ou quatre, à quelques mètres de distance seulement, pour vous dire bonjour le matin ou pour surveiller que vous placez bien vos détritus dans la bonne poubelle. C’est le tri sélectif à visage humain!
Le visage, en fait, serait plutôt celui de l’Australie blanche des deux derniers siècles, pas celui des Aborigènes qui sont là depuis 50’000 ans. Il est vrai qu’ils ont d’autres chats à fouetter: exclusion, alcoolisme, drogue. Une fois de plus, le sport n’est qu’un prétexte à aligner un maximum de mots et à produire un maximum d’images en un minimum de temps pour noyer tout autre sujet de communication, comme par exemple le génocide des Aborigènes, le massacre des kangourous ou l’exploitation des enfants indonésiens par une multinationale de la chaussure de sport.
Mais on ne va pas gâcher le plaisir de la compétition. L’important, c’est d’être à Sydney, et surtout de pouvoir en parler avec autorité. Qu’importe si le sens de tout ce cirque olympique échappe totalement à des milliers de journalistes, à des millions de spectateurs et à quelques milliards de téléspectateurs. Et qu’importe le flacon d’anabolisant ou d’hormone de croissance, pourvu qu’on ait l’ivresse des Jeux. Panem et Circences 2000.
