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Ami-ami? Faut voir

Les relations entre la Confédération et le jupitérien président Macron semblent au beau fixe. Sans doute un trompe-l’œil qui prépare des réveils douloureux.

C’est donc déguisée en fée verte que Doris Leuthard a rendu visite à son homologue français, le président tout puissant, Macron-Jupiter. Un entretien entre gens bien éduqués, à défaut d’être bien habillés, et à l’issue duquel la présidente de la Confédération a démontré que, même à la tête d’un petit pays, on pouvait prendre les choses — et les gens — de haut: «Je n’exclus pas que cela marche», a-t-elle ainsi déclaré, bonne princesse, à propos de la politique menée par Emmanuel le Grand. Sous entendu, un jour peut-être la France fera presqu’aussi bien que la Suisse, avec un peu de chance et pas mal d’efforts.

Le Premier ministre Edouard Philippe a d’ailleurs été officiellement invité à venir sur place, en terre confédérale, prendre quelques leçons de bonne gouvernance et observer, probablement déjà fasciné, le fameux modèle suisse, garanti sans grève ni chômage.

Bref, pas de feu au lac ni de tonnerre sur l’Olympe. Entre la Suisse et la France, de toute façon, les sujets d’accrochage et de papotages sont un peu toujours les mêmes et d’une intensité toute relative. Ils concernent souvent, avec une régularité qui dit la stabilité du lien entre ces pays, deux catégories de citoyens français qu’à peu près tout oppose: les uns plutôt riches, les autres plutôt pas, les uns bienvenus, les autres un peu moins. On veut bien sûr parler des exilés fiscaux et des frontaliers.

Il y aurait eu là peut-être — c’est déjà arrivé dans ces raouts franco-suisses — quelques motifs de petites fâcheries comme en connaissent tous les voisins, même de bonne compagnie. Sauf qu’on semble s’acheminer tranquillement vers un échange automatique des données fiscales. Quant aux frontaliers, c’est bien simple, Macron les considère avant tout comme la preuve d’une «intimité entre les deux pays», ajoutant même: «Ils sont la continuité de la France en Suisse.»

Entre la Suisse de toujours et la France en marche, l’ambiance paraît donc au beau fixe. D’autant que le principal sujet désormais qui pourrait susciter des rancœurs et couver des amertumes n’a pas été abordé. C’est bien dommage: Macron et Leuthard auraient sûrement eu bien des choses intéressantes à se dire à propos des perceurs de coffres-forts que la justice française envoie à l’assaut de la forteresse UBS.

On aurait pourtant tort de s’enflammer trop vite à propos de cette belle amitié. Dans une interview au Temps, François Garçon, universitaire français spécialisé dans l’étude de la politique suisse, remet méchamment les coucous à l’heure. Pour lui, la Suisse n’est pas macron-compatible, ni Macron soluble dans la démocratie directe.

«La France de Macron est diamétralement opposée au modèle helvétique.» Et de une. Macron «ne veut surtout pas donner du grain à moudre au Brexit britannique (sic), en offrant des concessions à un pays tiers comme la Suisse». Et de deux. «Pourquoi Emmanuel Macron ferait-il un cadeau à la Suisse? Les finances publiques de la France sont exsangues. Le pays a besoin d’argent et la Confédération est un partenaire capable de payer.» Et de trois.

On remarquera d’ailleurs qu’à propos de la fiscalité, Emmanuel Macron à un moment s’est fait poliment, mais fermement, menaçant: «La meilleure façon de prouver notre coopération est de passer aux actes.»

Le pire, selon Garçon, est peut-être encore à venir: «Le credo de Macron est celui d’un pur monarque républicain, partisan d’un Etat stratège au service d’une puissance publique contrôlée par une petite élite issue de deux ou trois grandes écoles. Il ne peut pas croire, ni comprendre, ce que signifie le peuple souverain dans sa version suisse.»

Et de quatre. De quoi, pour dame Doris, se dire que c’était bien la peine d’avoir sorti son joli costume de fée.