Un livre à succès prétend que l’Inde rend fou. Attention aux clichés. Isabelle Guisan a vécu cette angoisse de l’Occidentale perdue dans le sous-continent. Elle raconte.
Idolâtrée depuis des siècles comme le pays qui rend sage, l’Inde est en passe depuis quelques semaines, par la grâce d’un livre à succès, de devenir le pays qui rend fou. Roger-Pol Droit y consacrait une chronique dans Le Monde des Livres à fin juin déjà et le magazine Psychologies de juillet-août lance un retentissant «Méfiez-vous du syndrome de l’Inde!» en tentant même de nous apprendre à le prévenir.
Le livre à succès en question, paru chez Payot, s’appelle «Fous de l’Inde». On le doit à Régis Airault, un psychiatre en poste au consulat français de Bombay qui a opéré des rapatriements de touristes égarés et qui décrit les angoisses et autres décompensations d’Occidentaux en analysant leur pourquoi.
Comme toujours, il y a là une part de vérité. Je l’ai éprouvée moi-même lors de mon sixième et dernier séjour en Inde, un voyage au cours duquel rien ne semblait vouloir marcher, du cyclone qui nous a empêchés de voler sur Madras à la chambre non réservée dans un hôtel débordant de congressistes.
Je m’était alors rendue à Mysore, au sud du pays, sans trop savoir pourquoi. Arrivée dans un superbe palais blanc transformé en hôtel, j’ai été submergée d’une angoisse profonde et sans motif concret dans ces couloirs presque déserts où un crapaud égaré lui aussi montait la garde.
Derrière les rideaux de ma chambre, la mousson rendait le paysage blanc et moite. Je regardais un jeune homme occidental, la tête cernée d’écouteurs, courir interminablement, absurdement, en rond autour de la piscine et j’avais l’impression de perdre pied «si loin du monde occidental».
Au bout de deux jours d’angoisses, j’ai demandé à voir un médecin local. Mon malaise était de l’ordre de l’angoisse profonde sans cause apparente, de la terreur de perdre totalement le contact avec moi-même dans un monde devenu totalement étranger. D’où l’irréalité de ce jeune homme courant autour de la piscine…
Le médecin n’a pas pris mon mal au sérieux. A ses yeux, une journaliste habituée à voyager devait savoir se ressaisir pour remplir au mieux sa noble tâche d’information. J’ai dû insister pour obtenir un médicament et j’ai quitté Mysore, puis l’Inde, aussi vite que possible.
L’Inde peut rendre fou, écrit Régis Airault, et comme souvent, cette part de vérité peut mener à des amalgames insoutenables. Parce le changement d’univers social et mental peut désorienter plus d’un touriste, l’Inde est ravalée aussi sec par Psychologies Magazine au rang de pays «moyenâgeux», «mettant à l’honneur ce que l’Occident veut cacher: la mort, l’irrationnel, l’ombre», pays où les gens «défèquent sur le trottoir» avec «des cadavres à même le sol».
Attention aux poncifs ethnocentristes. On sait que le sous-continent indien se modernise sans cesse. Qu’il compte aujourd’hui à côté de sa misère «joyeuse» une classe moyenne de quelques centaines de millions d’habitants et que bon nombre de ses quinze millions de riches déferlent en vacances en Europe. Alors, à quand une étude sur les troubles du comportement induits par l’Occident chez les voyageurs venus d’Inde?