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Gueule de bois

C’est par Twitter, le réseau cher au prochain président des Etats-Unis, que la classe politique a réagi à chaud au tremblement de terre du 8 novembre. La «trumpisation» des esprits – et des plumes – semble déjà en marche.

La secrétaire générale des femmes PLR, Claudine Esseiva, l’avoue tout à trac: «I need a drink». Ce tweet posté au petit matin de l’élection de Donald Trump, la fribourgeoise l’a accompagné d’un GIF montrant un homme résigné, bouteille en mains, et s’apprêtant à se servir une sérieuse ration de whisky.

C’est d’abord par le réseau gazouillant, dont Trump a copieusement abusé, que les membres de la classe politique suisse ont en effet transmis, à l’aube, leurs premiers commentaires chauds bouillants face au séisme que personne n’avait vu venir. À part peut-être un singe savant chinois, à la manière du fameux pronostiqueur Paul le Poulpe. Tout en gardant, pour certains, la tête froide et pleine déjà d’arrière-pensées très locales. Tel le conseiller national PS Cédric Wermuth qui croit savoir que, voilà, cette fois la preuve est faite: «Le libéralisme et le social-libéralisme ne peuvent battre la nouvelle droite. Au contraire. Punkt.» Sous-entendu: pour vaincre l’UDC, pas d’autre manœuvre efficace qu’«à gauche toute».

Certains comme Carlo Sommaruga disent cela autrement mais l’idée reste la même, sans que pour autant le début d’une ombre de preuve soit avancée: «L’establishment démocrate, en écartant Bernie Sanders, a ouvert la porte à l’autoritarisme identitaire.» C’est sûr. Et si ma grand-mère avait fait du vélo, Hillary n’aurait pas bu la tasse.

Il y a encore ceux, comme le PDC Claude Béglé, qui parviennent avec un sang-froid remarquable à maîtriser leur surprise, leur crainte et leur colère: «Ainsi le veut la démocratie, même si elle peut s’avérer parfois dangereuse. Le peuple et les élites, ce n’est pas la même chose.» Juste, Auguste. Comme l’a si bien dit, dans un autre tweet, le préposé valaisan à la protection des données, Sébastien Fanti: «Si Donald est élu, n’importe quel Mickey peut l’être.»

Aucune dérive de là-bas, par ailleurs, ne doit être oubliée dans cette affaire, histoire de mieux dénoncer un dysfonctionnement d’ici. Le PDC Yannick Buttet constate ainsi que «finalement les instituts de sondage aux USA sont aussi forts qu’en Suisse». Ironie, quand tu nous tiens…

Histoire sans doute d’élever le débat, et d’en revenir aux fondamentaux, l’ex benjamin du parlement, le socialiste Mathias Reynard invoque carrément Antonio Gramsci pour expliquer l’inexplicable: «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres.»

L’UDC évidemment, de son côté, peine à contenir sa satisfaction, à l’image de la Zurichoise Natalie Rickly, une des pontes du parti: «Nous pouvons nous réjouir de cette élection inattendue.» Sans oublier quand même de garder un tantinet les pieds sur terre: «Trump devra maintenant montrer qu’il peut davantage que sa réputation.»

Il faut bien aussi chercher une tête de turc, un bouc émissaire, un inconscient qui aurait à lui tout seul déclenché le cataclysme. Jean Christophe Schwaab croit bien l’avoir trouvé: «S’il y en a qui ont de quoi être fiers d’eux ce matin, ce sont Julien Assanges et Wikileaks. Bravo. Vraiment.»

Et puis dans le rôle de la mauvaise perdante, c’est la conseillère nationale vaudoise Ada Marra qui s’y colle: «Je résume: un mec riche qui ne paie plus d’impôts depuis des années va utiliser ceux des autres pendant quatre ans.»

Oui, bon. Au-delà pourtant du réflexe idéologique et de la haine de classe, on pourrait se dire que la richesse de Donald Trump est peut-être le moindre de ses défauts.