Pour atteindre un public plus large, les sciences participatives sacrifient parfois leur vocation éducative première.
Chaque jour, des milliers de néophytes s’attellent à transcrire des archives muséales ou surveiller la faune de parcs nationaux sur la plateforme de science participative Zooniverse. Curieux et désireux de contribuer, ils font partie d’une nouvelle vague d’amateurs qui dépasse les domaines classiques propices à ce type d’engagement tels que l’astronomie ou l’ornithologie. «Les amateurs avaient toujours participé à la recherche scientifique. C’est leur exclusion qui est nouvelle, datant de la professionnalisation des sciences dès la fin du XIXe siècle», relève Sascha Dickel, chercheur en sociologie des sciences à la Technische Universität München.
Physique des particules à domicile
Alors que les résultats de recherche du CERN font régulièrement la une des médias, son fonctionnement demeure le plus souvent obscur pour le commun des mortels. Mais depuis 2004, il est cependant possible d’accueillir chez soi une part de ce projet gigantesque, en mettant à la disposition du CERN la puissance de calcul de son ordinateur (voir l’encadré «Résoudre les mystères de l’univers» ci-dessous).
«Il y a une vraie demande de la part du public de pouvoir contribuer. C’est une ressource sous-exploitée, commente Laurence Field, physicien au CERN. Pourtant, l’effort citoyen répond à un réel besoin: réaliser une partie des simulations sur les ordinateurs de volontaires libère notre capacité de calcul pour le traitement des données que nous récoltons.» Les volontaires représentent même le deuxième plus grand producteur de simulations pour l’une des expériences du laboratoire européen.
Les projets de calcul distribué bénévole comme celui du CERN sont accessibles à tous ceux équipés d’un ordinateur et d’un accès à internet. Malgré cela, des études révèlent que la participation à ce type de projet se confine encore majoritairement à des «geeks» férus de technologie.
Reconnaître les cellules cancéreuses
Mais la science participative sait aussi attirer de nouveaux publics pour résoudre des tâches qui résistent à l’automatisation, souvent sous la forme de jeux. Galaxy Zoo représente une réussite phare dans ce domaine, avec près d’une cinquantaine de publications à son actif. En 2007, le groupe de recherche en astronomie de Chris Lintott à l’Université d’Oxford peinait à classifier un set de plus d’un million d’images de galaxies: «Les algorithmes ne pouvaient pas différencier entre les galaxies de forme elliptique et spirale, alors que l’œil humain reconnaît très facilement ces motifs», explique Laura Trouille, chargée des sciences citoyennes au planétarium Adler de Chicago, l’un des partenaires de cette collaboration américano-britannique.
N’ayant pas les ressources pour effectuer ces classifications à la main, l’équipe propose alors au public d’analyser les images via un site internet. Le succès est fulgurant: vingt-quatre heures après le lancement, ils reçoivent près de 70’000 classifications par heure, pour en atteindre ensuite plus de 50 millions en une année.
Le succès de Galaxy Zoo a donné naissance à la plateforme Zooniverse, qui regroupe aujourd’hui une quarantaine de projets de science participative allant de l’astronomie aux sciences humaines (voir l’encadré «Plonger dans l’univers d’artistes» ci-dessous). «Les contributions du public ont un impact réel, souligne Daniel Lombraña, cofondateur de la plateforme Crowdcrafting qui permet aux intéressés de créer des projets de science participative. En collaboration avec l’organisation Cancer Research UK, nous avons démontré que les utilisateurs pouvaient différencier les cellules cancéreuses presque aussi bien qu’un expert.» Après un court tutoriel, les 1’000 volontaires avaient appris à reconnaître des cellules cancéreuses dans des photos d’échantillons de tissu avec une exactitude de 90%.
Détecteurs sur pattes
Autres exemples de participation citoyenne réussie, les FabLabs et les comptoirs scientifiques, qui cherchent à promouvoir un engagement plus approfondi du public dans la recherche. Dans les premiers, on trouve toutes sortes d’outils, de l’imprimante 3D au découpeur laser qui sont mis à la disposition du public, donnant naissance à des espaces collaboratifs propices à la création. C’est en naviguant dans plusieurs FabLabs à Munich et à Berlin que Teja Philipp a conçu le prototype de son découpeur laser portatif «Mr Beam», dont la dernière campagne Kickstarter fut l’une des mieux financées d’Allemagne en date, avec plus de 900’000 euros récoltés.
Au croisement entre universités et société, les comptoirs scientifiques, quant à eux, recueillent les questions et demandes provenant d’organisations civiles, sur des problématiques telles que la pollution locale ou la gestion du trafic, et s’attellent ensuite à mener les recherches pour y répondre avec des partenaires universitaires.
Bien que des initiatives comme Zooniverse atteignent un public de tous âges et dont la moitié ne possède pas de diplôme universitaire, le réel effet démocratisant de la science participative fait débat. «La plupart des projets actuels demande au public d’effectuer des tâches qui ne nécessitent que peu d’expertise, où il est par exemple confiné au rôle de détecteur sur pattes», explique Sascha Dickel. Les alternatives, elles, atteignent un public plus restreint. Le choix se situe donc aujourd’hui entre inclure le plus grand nombre ou donner plus de poids aux participants.
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ENCADRE
Tous chercheurs
Quatre projets citoyens pour faire progresser la science depuis chez soi.
Résoudre les mystères de l’univers
Site: lhcathome.web.cern.ch
Organisme: CERN
Lancement: 2004
Comment participer: en mettant à disposition la puissance de calcul de votre ordinateur pour aider les physiciens à analyser les données du Grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN et en installant le logiciel permettant d’effectuer des simulations une fois connecté à internet. Vous pouvez attribuer le plus faible niveau de priorité au logiciel ou l’arrêter lorsque vous utilisez l’ordinateur.
Simulations effectuées: 3 trillions
Plonger dans l’univers d’artistes
Site: anno.tate.org.uk
Organisme: Tate Gallery et Zooniverse
Lancement: 2015
Comment participer: en transcrivant des annotations manuscrites d’artistes sur le site du projet pour contribuer à la numérisation des archives du Tate. Vous pouvez reporter une ou plusieurs lignes écrites par Francis Bacon et 30 peintres, photographes et sculpteurs.
Documents transcrits: 17’000
Un jeu cérébral
Site: eyewire.org
Organisme: Massachusetts Institute of Technology et Institut Max-Planck de recherche médicale
Lancement: 2012
Comment participer: en jouant à un jeu qui aide les chercheurs à cartographier et à comprendre les milliards de connexions neuronales du cerveau. Une fois inscrit sur le site, vous résolvez des puzzles en 3D afin de gagner des points tout en construisant le modèle neuronal d’un échantillon microscopique de rétine.
Joueurs: plus de 200’000
Opération escargot
Site: evolutionmegalab.org
Organisme: The Open University et d’autres contributeurs européens
Lancement: 2009
Comment participer: en chassant les escargots et en renseignant leurs caractéristiques. Ces informations recueillies en Europe aideront les chercheurs à déterminer si leur évolution est liée au réchauffement climatique, ce qui est probable, les coquilles plus foncées chauffant plus rapidement au soleil. Pour tous les âges, dans 14 langues.
Rapports récoltés: plus de 10’000
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 10).
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