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La fulgurance d’une erreur

Djihadisme, éducation sexuelle, internement à vie: la preuve par trois que plus c’est simple, plus c’est compliqué.

Les choses les plus simples sont souvent déjà très compliquées. Trois casse-têtes au hasard de l’actualité le suggèrent. Un djihadiste revient de Syrie? Fastoche, au trou et basta. Un tueur récidiviste? Encore plus net: internement à vie, bon débarras. Lutter contre l’homophobie à la racine? Pas de problème, on distribuera dans les classes un joli manuel d’éducation à la diversité sexuelle.

Dans la réalité, on se retrouve bien vite à soupirer, à la manière d’un Jules Renard: «Une fois que ma décision est prise, j’hésite longuement.» Ou même d’un Umberto Eco: «Autrefois, j’étais indécis. Mais à présent je n’en suis plus très sûr.» C’est que du papier à la réalité, de méchants gouffres ont tendance à s’ouvrir sous nos pas.

L’avocat du tueur récidiviste Claude Dubois se plaint ainsi que son client ait été condamné à l’internement à vie. Une mesure certes approuvée par le peuple en 2004 mais qui contredit les traités internationaux signés par la Suisse. Bon, là ça irait encore: piétiner les traités internationaux est devenu un sport quasi national qui ne rebute plus grand monde.

Où ça se complique sérieusement, c’est lorsqu’un psychiatre vient vous certifier «qu’il n’existe aucun outil scientifique pour dire qu’une personne est incurable à vie». Or pas de chance, c’est une condition fixée dans la loi sur l’internement à vie. Bref, l’impasse.

L’éducation sexuelle maintenant. L’Association Santé Sexuelle Suisse estime – et qui irait donc la contredire? – qu’il est «très important de répondre aux interrogations des élèves, de leur permettre d’avoir des repères pour comprendre ce qui existe et qu’on ne vit pas uniquement dans une société hétérosexuelle». Elle s’est même trouvée un conseiller national PDC et valaisan pour presque approuver, Yannick Buttet en l’occurrence: «On vit au XXIe siècle, il faut répondre aux questions des élèves, ne pas cacher ce qui existe.»

Avant d’ajouter, et c’est là que ça se gâte: «Mais il ne faut pas créer une offre en mettant en avant dans un manuel des pratiques qui peuvent dépasser les limites.» Car oui, le fameux manuel évoqué plus haut fait des vagues, et des grosses. Disponible seulement en allemand à l’usage des enseignants des cantons de Bâle-Ville et Zurich, il suggère entre autres revigorants exercices, une simulation de sodomie.

Ce qui émeut naturellement plus d’un parlementaire outre-Sarine, surtout s’il est encarté UDC. «Ce livre n’a pas sa place dans les cours d’éducation sexuelle! Les cantons concernés doivent immédiatement le retirer», a décrété l’un deux dans la feuille «20 Minuten». Résumé en 20 secondes: prôner la tolérance envers la diversité sexuelle c’est une chose, passer aux travaux pratiques, c’en est une autre.

Sur ce, un jeune exalté djihadiste rentre au pays de Heidi. Vous arrive du proche et compliqué Orient. Là aussi, se dit-on, pas la peine de couper les poils de barbe en huit. Sécurité d’abord. Mettre le kamikaze potentiel hors d’état de nuire.

Spécialiste de terrorisme, Jean-Paul Rouiller dépeint pourtant une «tâche colossale» qui attend les enquêteurs face au suspect: «Comprendre ce qu’il cherchait à faire, savoir s’il est allé en Syrie, et surtout, déterminer les motivations profondes de son retour.» Autrement dit conduire de front une enquête pénale, un examen psychologique et une évaluation de la menace potentielle que représente ce fils prodigue d’un nouveau genre.

Et puis, allez donc prouver quoi que ce soit. Pourtant, laisser en liberté par manque de preuves cette sorte de personnage peut conduire au pire. Cela a été démontré suffisamment dans les pays voisins ces derniers mois. Rouiller prône «finesse», «délicatesse», patience et tâtonnement. Non sans rappeler que les programmes de déradicalisation sont loin d’avoir fait leurs preuves. Nous voilà bien.

Connaissez-vous Henry Louis Mencken (1880-1956)? Surnommé le sage de Baltimore? Le Nietzsche américain? Journaliste, linguiste, satiriste, fils d’un marchand de cigares, c’est à lui qu’on doit cette sentence définitive: «Chaque problème complexe a une solution simple, claire et erronée.»