LATITUDES

Réfugié: un chemin de vie périlleux

Nombreux sont les candidats à l’exil qui périssent chaque année sur les routes migratoires. Mais après les risques que comporte leur voyage, d’autres dangers moins connus les attendent à leur arrivée en Suisse.

Chez les migrants, tout commence par une immense prise de risques. Bien avant leur départ, la plupart d’entre eux sont bien informés des souffrances et des difficultés qui les guettent durant leur périple. David Bozzini, chercheur en anthropologie au Graduate Center City University of New York, connaît bien l’Erythrée pour avoir réalisé sa thèse de doctorat sur la surveillance et la répression dans le pays. Dans cette autocratie, dont sont originaires près de 10% des demandeurs d’asile en Suisse, il a pu documenter la conscience des dangers chez les candidats à l’exil: «On a parfois l’impression que les migrants découvrent les écueils au fil du chemin. Mais ils sont pour la plupart au courant des dangers: la traite, les kidnappings, les passeurs véreux, les tortures, le vol d’organes… Ces individus décident tout de même de prendre ces risques, car il est trop difficile pour eux de rester dans leur pays.»

La vulnérabilité face à la violence dans son pays d’origine représente le principal déclencheur de départ, selon Claudio Bolzman, sociologue, professeur à la Haute école de travail social de Genève – HETS-GE et à l’Université de Genève. «En Suisse, nous vivons dans un monde où l’Etat détient le monopole de la violence physique légitime. Mais si l’on s’intéresse aux trois pays dont sont originaires la majorité des demandeurs d’asile en Suisse, la situation est autre. En Syrie et en Afghanistan, la violence physique est partagée entre une série d’acteurs armés. En Erythrée, les citoyens sont enrôlés de force et il n’existe aucun tribunal indépendant devant lequel ils peuvent faire valoir leurs droits.»

Un cinquième des réfugiés disparaissent en chemin

Une étape intermédiaire jalonne le parcours de la plupart des migrants qui gagnent l’Europe: le camp de réfugiés. Dans le cas des Syriens, ils sont 4 millions à vivre dans les pays voisins. Leur situation — qu’ils pensaient provisoire et réversible — dure, avec un retour au pays de moins en moins envisageable. Les habitants des camps craignent de ne pas disposer de moyens de subsistance suffisants. «Nombre d’entre eux n’ont pas de statut de réfugié, ne peuvent ni travailler ni envoyer leurs enfants à l’école, indique Claudio Bolzman. Face à cette absence de perspectives d’avenir, l’idée de poursuivre le voyage mûrit dans l’esprit de certains. Les Afghans, d’abord réfugiés en Iran ou au Pakistan où ils vivaient comme des citoyens de seconde zone, en sont venus à la même conclusion.»

Les périls du voyage jusqu’en Europe sont connus du grand public et relayés par les médias. Les chiffres restent impressionnants: selon l’Organisation internationale pour les migrations, entre le 1er janvier et le 31 mars 2016, plus de 135’000 personnes ont emprunté les itinéraires grec et italien en Méditerranée et près de 500 personnes y ont péri. Des milliers de réfugiés érythréens sont aussi victimes de la traite d’êtres humains dans le désert du Sinaï. Selon les estimations datant de 2013 de la journaliste suédo-érythréenne Meron Estefanos, un cinquième des réfugiés qui ont fui l’Erythrée ont disparu en chemin.

Précarité et exclusion à l’arrivée

A l’arrivée en Suisse, les requérants d’asile ne sont pas au bout de leur chemin de croix. Le principal risque est bien entendu de voir sa demande d’asile rejetée et d’être renvoyé dans son pays d’origine. «Il y a la peur de rentrer dans un pays violent ou sans perspective d’avenir, mais aussi de perdre la face et de faire échouer un projet collectif, relève Claudio Bolzman. Dans le cas des migrants d’Afrique subsaharienne par exemple, de nombreuses personnes ont misé sur eux et sur leur réussite en Europe.» Une fois le statut de réfugié obtenu, l’objectif de la plupart des migrants est de trouver un travail et de subvenir à leurs besoins.

Le centre d’accueil pour personnes migrantes de la Roseraie à Genève travaille à prévenir les risques d’exclusion que cette population encourt après son arrivée sur le sol suisse. Conçu comme un lieu ouvert, non étatique, il propose des ateliers de français, d’expression et de lien social, des espaces de repos et d’échanges ainsi que des sorties dans la ville. Le but de toutes ces activités est le décloisonnement, explique Damien Moulin, collaborateur du centre: «Il s’agit de permettre à la personne d’obtenir elle-même les informations utiles pour améliorer son quotidien et de ne pas rester cloisonnée dans un groupe en fonction de son origine, de son statut ou de son genre.» Au quotidien, il en résulte des situations qui seraient inconcevables si ces personnes ne fréquentaient pas un lieu comme celui-ci: autour de la table de ping-pong du centre jouent un Afghan, un Kurde et un albanophone.

Une santé péjorée par la migration

Les possibles conflits ou incompréhensions d’ordre culturel avec la population en Europe ont été très thématisés dans la presse depuis les agressions survenues à Cologne à Nouvel An. Un des buts poursuivis par la Roseraie est justement le bien vivre ensemble et le respect mutuel. «Nous ne sommes pas là pour imposer des valeurs, mais plutôt pour susciter un échange de connaissances et d’expériences concernant les informations dont ils disposent sur la vie en Suisse, note Damien Moulin. Les ateliers de français axés sur la vie quotidienne sont par exemple un bon moyen d’aborder ces thématiques de manière plus ou moins formelle.»

Dernier défi, les migrants sont davantage sujets aux problèmes de santé. Deux études menées par les offices fédéraux de la santé publique (OFSP) et des migrations (ODM) en 2004 et en 2010 révèlent de nettes inégalités entre la population autochtone et les migrants. Dans bien des cas, l’état de santé physique et psychique des personnes interrogées était plus mauvais que celui de la population autochtone. Le bilan 2008-2013 du Programme national Migration et santé identifie plusieurs points problématiques, tels la mortalité accrue des nouveau-nés et des nourrissons, la prévalence plus élevée d’infections sexuellement transmissibles, de troubles psychiques et de pathologies professionnelles, ainsi que le danger accru d’accident au travail et d’invalidité.

Pour prévenir les risques sanitaires, la Roseraie invite régulièrement des associations actives dans la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, le cancer, les addictions ou les maladies psychiques. «Je reçois depuis quelque temps davantage de personnes ayant subi des traumatismes graves liés à la guerre ou à leur voyage», indique Sabbel Ceesay, responsable de l’accueil et de l’accompagnement au centre. Une situation qui s’est généralisée à Genève: le nombre de requérants d’asile dans les structures psychiatriques du canton a triplé en l’espace de deux ans.
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ENCADRE

Trois questions à Abdelhak Elghezouani
Ce psychologue soigne depuis plus de vingt ans les troubles psychiques des migrants, dans le cadre de l’association vaudoise viagra vs cialis cost.

Quels sont les risques psychiques les plus fréquents chez les migrants arrivant en Suisse?
Si l’on s’intéresse aux principaux groupes de demandeurs d’asile (Erythrée, Afghanistan, Syrie, Irak), ils peuvent présenter deux catégories de symptômes, qui sont souvent cumulées. La première, le syndrome post-traumatique, se caractérise par des réviviscences des événements traumatiques, de l’hyper-vigilance, de l’anxiété et de l’irritabilité. La seconde correspond à un état de dépression.

Quelles en sont les causes?
Le fait d’avoir vécu des états de stress multiples et continus explique le premier cas. Ces personnes sont en effet issues de sociétés où il n’y a plus de sentiment de paix. Elles ont perdu confiance dans la permanence du monde et la bienveillance d’autrui. Quant à l’état de dépression, il est souvent lié à des deuils impossibles ou traumatiques. Dans leurs pays ou durant leur migration, certains migrants n’ont pas pu se recueillir après la mort d’un parent ou d’un compagnon de route, décédé le plus souvent dans des conditions dramatiques. Le sentiment de culpabilité du survivant entre aussi en jeu.

Comment aidez-vous vos patients?
Les soins peuvent avoir lieu dans le cadre de séances individuelles ou familiales, mais aussi au travers d’activités socio-thérapeutiques. L’objectif est triple: reconstruire un sentiment de sécurité, établir un lien de confiance interpersonnel et revenir sur son passé. L’important est que le patient se crée de nouvelles valeurs ou significations. Cela peut être de se dire «je dois sauver les autres» ou «je suis là pour que mes enfants aient une éducation». Si la majorité des êtres humains trouvent en eux-mêmes cette résilience, après de graves traumatismes, certains ont besoin de l’intervention de professionnels pour y arriver.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 11).

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