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Barazzone le conquérant

Le nouveau maire de Genève veut placer son année sous le signe de la «séduction». Une conception de la politique très lisse mais furieusement dans l’air du temps.

Le jour où le tunnel le plus long du monde est inauguré en pompe mondiale et fracassante. Le jour où chacun, d’un hémisphère à l’autre, s’extasie sur cette performance colossale d’une Suisse perçue le reste du temps comme égoïste et frileuse — comme si ce pays-là n’était bon qu’à creuser des trous sous la montagne. Ce jour-là, donc, un autre événement est passé injustement inaperçu: Genève a un nouveau maire.

On dira oui, mais c’est chaque année, tournus oblige, pas de quoi casser trois pattes à une poule d’eau dans la rade. Sauf que ce nouveau maire n’est pas n’importe qui puisqu’il s’agit du très conquérant Guillaume Barazzone.

Conquérant il l’est, pressé en tout cas, gourmand c’est sûr, et cumulard évidemment — il est aussi conseiller national — à tout juste 34 ans. Toujours très propre sur lui, une tête de premier communiant, de gendre idéal, de premier de classe, d’éternel adolescent, comme on voudra, on aura compris le genre. Une sorte de Macron du pauvre en somme, ou plutôt du riche, si on considère l’état des administrés respectifs.

Oui, une sorte d’ovni «macronien», les vagues et le sens de la provocation en moins. L’interroge-t-on sur l’envie de sa collègue Sandrine Salerno d’autoriser le port du voile dans l’administration, le gentil Guillaume louvoie — un exercice dans lequel il excelle. Commence par dire que c’est en son nom personnel qu’il s’exprime, précaution oratoire bien connue de ceux qui ne craignent rien tant qu’un dérapage même minuscule. Pour expliquer au final que lui, le militant du parti démocrate-chrétien, estime en fait que l’État ne doit avoir «aucune religion».

Que mieux, ou pire, c’est selon, il doit être aussi, cet état barazzonien, parfaitement neutre. Au point que le dernier des fonctionnaires devrait s’interdire même la plus humble des activités politiques. Il a bien raison Guillaume: les bonnes places, il faut les réserver aux avocats, profession que lui a eu la sagesse de choisir, plutôt qu’une obscure existence dans les soutes de l’Etat. C’est vrai ça: les avocats comme lui ne vont-ils pas jusqu’à se sacrifier, se tuer quasi à la tâche, contraints d’occuper plusieurs postes à la fois, tellement ils sont irremplaçables.

Neutre, donc, voilà un qualificatif qui va à Guillaume Barazzone mieux qu’un gant. Parmi les fiertés qu’il pointe dans son bilan de conseiller administratif depuis 2012, il y a celle d’avoir «végétalisé» la ville. Ce qui ne fait pas de lui, qu’on imaginerait volontiers pourtant une pâquerette entre les dents, un écologiste pur et dur. Il n’est pas favorable à l’initiative des Verts «pour des transports publics plus rapides».

Végétaliser la ville c’est bien, mais construire des routes pour y arriver, et en profiter, c’est encore mieux — sans doute encore un effet de neutralité. Un coup de ci, suivi d’un bon coup de ça, et tout s’équilibre. Dans cette optique, on sera donc écologiste avec les urbains et bétonneur avec les bouseux. Une position que monsieur le maire résume d’une phrase simple, claire et neutre comme lui: «Plus on s’éloigne de la ville, plus la priorité au transport individuel est favorisée». Coup de ça. Mais attention: «Nous devons évidemment renforcer les alternatives à l’automobile». Coup de ci. Bref, à chacun sa becquée, à chacun la pitance qui lui convient et qu’il réclame.

Mais n’allez pas lui parler de clientélisme. Ça n’a rien à voir. Il s’agit même de tout autre chose. Pour son année à la tête de la ville, Guillaume Barazzone a trouvé un mot d’ordre, qui dit tout et qu’il a confié au quotidien Le Temps: «Genève doit conserver sa capacité de séduction». Machiavel et Churchill peuvent bien se retourner dans leurs tombes pleines d’intrigues, de coups fourrés, de sang et de larmes. C’est désormais cela, et cela seul, faire de la politique en 2016: séduire.