CULTURE

Bertrand Burgalat, arrangeur public numéro 1

Le Français a mis en musique le disque de l’écrivain Michel Houellebecq, en concert cette semaine au Paléo Festival de Nyon. Une compilation qui réunit ses meilleures productions – dont April March ou Eggstone – vient de sortir.

«Bienvenue dans l’univers d’un magicien du son français, Bertrand Burgalat.» Ainsi célébré par le label allemand Bungalow, principal acteur du renouveau easy-listening, l’art délicat du musicien et producteur parisien fait aujourd’hui l’objet d’une compilation superlative, recouvrant quatre années d’activisme pop. De Air à Louis Philippe, de Renegade Soundwave à Ollano, tous ont fait appel un jour ou l’autre aux dons singuliers de Bertrand Burgalat.

A la tête de son label Tricatel, ce jeune homme aussi ténébreux qu’affable a pris le marché du disque français par surprise en imposant, au cœur d’une scène électronique hautement sophistiquée, les valeurs fondatrices de la pop de toujours. Tissus de cordes atmosphériques, sons de claviers analogiques et basses seventies, un disque Tricatel se reconnaît d’abord à ce mélange de sonorités rétros et de techniques musicales contemporaines, faisant un large usage des boucles sonores, comme autant d’invitations à la transe. Réalisés à peu de frais, les albums d’April March, Etienne Charry ou Eggstone conservent ainsi tout le charme d’une production artisanale, tout en affichant des ambitions musicales que l’on ne rencontre plus guère à l’ère de Britney Spears. En témoigne encore l’excellent «Présence humaine» de l’écrivain Michel Houellebecq, pour lequel Bertrand Burgalat a composé et orchestré l’ensemble des parties instrumentales…et s’en explique dans l’entretien qui suit.

Largeur.com: Comment s’est passé la rencontre avec Michel Houellebecq?

Bertrand Burgalat: J’ai rencontré Michel par un ami commun qui travaillait au magazine Art Press et qui le connaissait. Tous les deux travaillaient à l’époque pour la «Revue Perpendiculaire», il y a de cela 4 ou 5 ans. Un jour, il m’invite à une soirée et me propose de jouer avec Houellebecq. Je venais de lire «Extension du domaine de la lutte» qui m’avait vraiment impressionné, mais je ne savais pas qu’il faisait des poèmes. Quand je les ai lus, j’ai été épaté. Finalement, le soir du concert, je n’avais aucune envie d’aller à ce truc Perpendiculaire, c’était très prétentieux et je me suis défilé! Mais on a continué à se voir de manière épisodique, et à travailler sur les morceaux. Dans l’intervalle, Michel a sorti «Les Particules élémentaires», et la promo l’a tellement occupé que la sortie du disque a été repoussée. Ce qui est sorti cette année est donc un projet vieux de 3 ou 4 ans.

Largeur.com: Avez-vous été surpris par l’accueil favorable que le disque a reçu?

Bertrand Burgalat: Cela nous a vraiment fait plaisir. Je pense que les gens se rendent compte que Michel n’a rien à gagner en faisant un projet comme celui-là. Ils savent qu’il s’expose énormément… un peu comme s’il annonçait qu’il allait participer à un championnat de patinage artistique. Au départ, bien sûr, il y avait beaucoup de sarcasmes et de méfiance. Toute personne qui s’immisce dans un autre domaine est mal vue. Il faut dire qu’il y a beaucoup d’acteurs ou d’écrivains qui ont fait des disques affreux! On a essayé de ne pas trop tomber dans ce travers. Par exemple, il y avait des morceaux lyriques que l’on n’a pas inclus sur le disque. C’était un peu comme si l’on avait allumé la lumière, comme si un rappeur se mettait à chanter. D’un seul coup, tout le côté hypnotique du disque disparaissait.

Largeur.com: Au final, «Présence humaine» sonne plutôt triste, ce qui ne semble pas être le cas des autres productions de votre label Tricatel…

Bertrand Burgalat: En réalité, c’est peut-être l’un des disques les moins tristes du label (rires)! A mon sens, toutes nos productions sont beaucoup plus noires qu’elles ne le paraissent. C’est là l’un des malentendus que l’on a eus avec Tricatel. Il y a toujours un aspect lisse en surface, mais pour moi, tout le côté bord de mer, musique solaire, c’est quelque chose qui évoque beaucoup plus la mélancolie voire la tristesse qu’un sentiment du genre: «Ouah, génial, tout le monde en vacances!» De ce côté là, on est très ambigus. Aujourd’hui, quand les gens ont une attitude frontale en musique, qu’ils cultivent un côté sombre et glauque, cela me fait rigoler. Pour moi, c’est du bidon, une tristesse totalement feinte. Le rock énervé est devenu un simulacre de rock énervé. Il ne peut plus y avoir de MC5 (mythique groupe américain et précurseur du punk, ndlr) puisque cela a déjà été fait. A mon avis, les choses les plus émouvantes sont celles qui sont dites avec détachement. En matière de noirceur, je me sens plus proche de Robert Wyatt que d’autres musiciens plus ostensiblement tristes.

Largeur.com: Vous écrivez la musique des disques de Houellebecq, de Valérie Lemercier, d’April March, vous orchestrez la dernière publicité pour la Twingo, vos productions font aujourd’hui l’objet d’une compilation sur le label allemand Bungalow. Etes-vous en passe de devenir l’arrangeur public numéto 1?

Bertrand Burgalat: Je précise tout de suite que je n’ai pas choisi le titre de cette compilation (The Genius Of, ndlr)! J’ai eu honte en le voyant (rires). Les gens de Bungalow sont très gentils, et nous nous connaissons depuis longtemps. Ils m’ont proposé de compiler des choses que j’avais faites depuis longtemps… un cadeau pareil, ça ne se refuse pas. J’ai donné mon feu vert, en souhaitant qu’ils ne me montrent rien avant la sortie. Je n’ai choisi aucun des morceaux, et au final, il y a des choses que je n’aurais pas mises, où d’autres que j’aurais souhaité voir. C’est très flatteur, mais cruel en même temps pour moi. Parce que quand je réécoute cette sélection, je suis complètement déprimé, je me dis que tout est raté. Et cela ne me donne aucune certitude, bien au contraire.

Largeur.com: La plupart des titres proviennent de votre label. Peut-on parler d’un esprit de famille Tricatel?

Bertrand Burgalat: Sans doute, mais en même temps, je n’aimerais pas que cela porte préjudice aux artistes du label. Quelqu’un qui a une mauvaise image de Tricatel à cause d’un artiste qu’il n’aime pas ne devrait pas pouvoir l’étendre à l’ensemble des artistes du label. Notre objectif est d’avoir une véritable palette, de couvrir idéalement tous les genres musicaux en trouvant à chaque fois un angle qui nous plait. Je pense que l’on a une vision encore assez romantique de la maison de disques. Ce qui nous manque le plus aujourd’hui, c’est un succès commercial. Quand on voit les écuries mythiques, elles n’étaient pas dirigées par des enfants de chœur, les Berry Gordy (fondateur de Motown, ndlr) et consorts, mais elles ont fait des trucs sublimes qui ont marché. A un moment où un autre, il faudra que nous ayons du succès pour ne plus avoir à faire toujours tout avec des bouts de ficelle. Mais cela fait un an et demi que le label existe de manière institutionnalisée, et durant cette période, il s’est passé des choses incroyables.

Largeur.com: A ce propos, comment avez-vous digéré le fait que le Paléo festival de Nyon ait dû renoncer à l’hommage à Gainsbourg que vous deviez orchestrer?

Bertrand Burgalat: Je l’ai regretté, bien sûr, mais j’étais content pour le Paléo. Au moins, l’honneur est sauf. Je ne sais pas si ce que l’on aurait fait aurait été sublime, mais ça ne pouvait pas être pire que le concept de Montreux avec George Duke. Quand j’en ai vu le line-up, je me suis dit: «Ohlala, il va y avoir des mecs avec une queue de cheval qui font de la basse fretless…» Et apparemment, c’est ce qui s’est passé ! Les gens de la SACEM sont vraiment fous de s’être mis dans une connerie pareille.

Largeur.com: Est-il vrai que vous n’accompagnerez pas Michel Houellebecq au Paléo festival de Nyon?

Bertrand Burgalat: Oui, pour une raison très simple. Lors de la première tournée de Michel, je jouais des claviers sur scène. Mais il est arrivé un moment où j’ai dû me faire remplacer, parce que j’étais en studio avec Mick Harvey (ex-Bad Seeds et auteur de deux disques en hommage à Gainsbourg, ndlr). Entre temps, le type qui m’a remplacé aux claviers s’était tellement bien intégré au groupe qu’il s’en sortait mieux que moi. Il y avait une telle alchimie entre les musiciens que j’avais vraiment des scrupules à dire: «Ecoute, merci mon gars, tu es gentil mais je vais reprendre les claviers.» Et je le regrette! Parce que j’adorais jouer avec eux. Mais ces musiciens m’accompagneront sans doute lorsque je ferai ma propre tournée, cet automne.

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Michel Houellebecq se produit le jeudi 27 juillet au Paléo Festival de Nyon

Bertrand Burgalat, The Genius Of, une compilation Bungalow (bung 079, distr. suisse RecRec) avec Cinnamon, April March, Etienne Charry, Julien Baer, Nick Cave, etc.