LATITUDES

Pourquoi nous ne dormons pas

Les troubles du sommeil peuvent bouleverser une vie, jusqu’à faire perdre emploi et amis. Heureusement, les scientifiques en comprennent de mieux en mieux les causes.

La privation prolongée de sommeil est considérée comme une forme de torture par Amnesty International. Cela montre bien l’importance du sommeil pour rester en bonne santé. Pourtant, 10% des Européens souffrent d’un manque de sommeil. Voici les quatre principaux troubles:

Mauvaises habitudes

Nous avons tous déjà passé une partie de la nuit au lit les yeux grands ouverts, incapables de trouver le sommeil. Cela est généralement dû à de mauvaises habitudes. «Trop de café ou d’alcool pendant la soirée, utilisation de la tablette ou de l’ordinateur juste avant de se coucher, téléphone mobile sur la table de chevet, autant d’exemples de mauvaises pratiques qui provoquent un manque de sommeil», explique Philip Tønnesen, chercheur au Centre de médecine du sommeil du Rigshospitalet, au Danemark. Son conseil: ne pas faire d’exercice moins de trois heures avant de se coucher, ne pas boire de café le soir et éviter de passer sa soirée devant un écran.

Narcolepsie

La narcolepsie touche une personne sur 10’000 à 20’000. Surtout connue à travers les comédies montrant des personnes s’endormant sur leur assiette, c’est une pathologie peu répandue mais relativement grave. Si la piste d’une origine génétique est aujourd’hui privilégiée, elle semble être en partie causée par une quantité insuffisante d’orexine, un peptide qui nous maintient éveillés. Un narcoleptique peut s’endormir n’importe où, mais aussi tomber soudainement suite à une cataplexie, un manque de tension musculaire provoqué par une émotion forte. «La narcolepsie touche surtout des jeunes d’environ 20 ans, explique Michael Wiegand, professeur au centre médical du sommeil de la Technische Universität München (TUM). Outre les médicaments, les patients ont généralement besoin de psychothérapie, car la maladie leur a souvent valu de nombreux échecs dans leur scolarité, leurs relations et leur vie professionnelle.»

Avec un bon traitement, la plupart des narcoleptiques peuvent vivre une vie presque normale, d’autant que la maladie diminue avec l’âge. Les chercheurs seraient même en passe de trouver un remède. «Nous sommes très près de trouver l’origine du manque de ce peptide, dit Michael Wiegand. Nous n’y sommes pas encore, mais nous y arriverons.»

Insomnie

L’insomnie peut être aiguë ou chronique. Elle se caractérise par une difficulté à s’endormir et/ou à rester endormi. Elle est suivie par une impression de fatigue la journée qui suit. Pour être considérée comme chronique, sa durée doit être d’au moins trois mois et elle peut se poursuivre pendant plusieurs années. Elle touche 5 à 10% des Européens. «Les facteurs psychologiques, comme le stress, sont souvent les déclencheurs de cette forme passagère d’insomnie, indique Philip Tønnesen. L’insomnie chronique, elle, est plus souvent déclenchée par un problème psychologique. Un cercle vicieux d’inquiétudes vient s’ajouter au stress initial, rendant le sommeil encore plus inaccessible.»

Certains troubles, comme la schizophrénie, peuvent aussi provoquer l’insomnie, mais selon Philip Tønnesen, les raisons purement physiologiques sont rares. Contrairement à une idée répandue, les somnifères ne sont plus prescrits que rarement, au profit d’une amélioration de l’hygiène du sommeil. Pour les cas sévères, une thérapie cognitive de deux ou trois mois constitue la meilleure solution.

Apnée du sommeil

L’apnée, caractérisée par un blocage récurrent de la respiration, est le plus commun des troubles physiologiques du sommeil. La respiration est interrompue jusqu’à trente secondes, entre cinq et cent fois par heure, parce que la langue se rabat et bloque la gorge — d’où son nom «apnée obstructive du sommeil». Ce handicap touche 2% des femmes et 5% des hommes, et entraîne chez eux une fatigue perpétuelle. Rien d’étonnant à cela: le sommeil permet à une partie du cerveau de se reposer. Mais cette dernière s’active si nous cessons de respirer. Ainsi, si notre respiration s’arrête toutes les deux minutes, le cerveau risque de ne pas avoir le temps du tout de récupérer. L’apnée du sommeil peut s’accompagner de conséquences sérieuses: un risque accru de troubles cardiovasculaires ainsi que de mort prématurée.

Pour les formes bénignes, le premier traitement est lié au mode de vie. Il implique souvent un régime amaigrissant, étant donné que trois patients sur quatre sont en surpoids. Pour les cas modérés à sévères, le traitement standard est un appareil de ventilation appelé PPC («pression positive continue»). Porté pendant la nuit, il insuffle de l’air pressurisé dans la bouche et le nez pour maintenir la gorge ouverte. Des bagues fixant la langue, ainsi que différentes opérations chirurgicales figurent parmi les autres solutions. Philip Tønnesen développe actuellement un petit appareil pour les personnes dont l’apnée du sommeil dépend de leur position. Fixé sur le torse, il émet des vibrations lorsque le patient se tourne sur le dos et cesse lorsqu’il revient sur le côté.
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ENCADRES

Outil de diagnostic

«Le sommeil est un processus physiologique qui a une grande influence sur la santé», explique Poul Jennum, directeur du Centre danois de médecine du sommeil. C’est pour cette raison qu’avec Helge Bjarup Sørensen du service d’Ingénierie électrique de la Danmarks Tekniske Universitet (DTU), il analyse et interprète les données de milliers de patients endormis, à la recherche de maladies neurodégénératives. «Ensemble, nous concevons des méthodes d’analyse automatique pour rechercher des événements inhabituels pouvant servir de biomarqueurs pour une maladie donnée. Ensuite, nous intégrons ces découvertes à des algorithmes, ce qui permet à un ordinateur d’analyser les données d’un patient en quelques minutes, alors qu’un cerveau humain mettrait entre trois et cinq heures», explique Helge Bjarup Sørensen.

Cette collaboration a donné naissance à un logiciel de détection de structures du sommeil, ainsi qu’à la découverte brevetée de biomarqueurs électrophysiologiques combinant des données du sommeil paradoxal et de l’activité musculaire. Pour les deux chercheurs, cela pourrait aider les médecins à détecter la maladie de Parkinson dix à douze ans plus tôt qu’à l’heure actuelle. «Nous développons un algorithme capable d’analyser les données d’un patient et de fournir au médecin un profil des risques. Cette découverte pourrait aider les patients, les médecins et la société», affirme Poul Jennum.
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Dormir, un phénomène culturel

Même si la qualité et la dose minimale nécessaires varient selon le patrimoine génétique d’un individu, on peut dire que le sommeil a évolué au fil de l’Histoire. Ainsi, Michael Wiegand note qu’au Moyen Âge, avant l’électricité, les gens se couchaient tôt, à la tombée de la nuit, puis se relevaient vers minuit pour se retrouver sur la place du marché — «pour une pause dans le sommeil» — avant de se recoucher vers 2h. De nos jours, en Asie, il n’est pas rare que des personnes s’endorment au restaurant, voire à des conférences scientifiques. «Dans certaines cultures, dormir en public permet de montrer qu’on est quelqu’un de très occupé», explique Michael Wiegand.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 7).

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