C’est sur la pointe des pieds que les robots font leur entrée dans les hôpitaux. A terme, ils pourraient permettre de réduire les dépenses de santé, maintenir les personnes âgées à domicile et décharger le personnel soignant des tâches les plus fatigantes.
Avec sa tête toute ronde et ses énormes yeux, «Kompaï» semble tout droit sorti d’un dessin animé. Mais le robot de la société française Robosoft n’a pas été conçu pour amuser la galerie. «Notre machine permet de détecter les situations à risque pour la santé des seniors, mais aussi de servir d’outil de téléprésence pour la famille du patient ou le personnel soignant», explique Vincent Dupourque, président et fondateur de l’entreprise basée en Aquitaine. Déjà testé dans plusieurs hôpitaux et au domicile de personnes âgées, «Kompaï» devrait être commercialisé d’ici à 2017.
Bien qu’encore marginal, le marché des soins robotiques pour personnes âgées est voué à connaître une forte progression ces prochaines années, principalement en raison du vieillissement démographique. L’Organisation mondiale de la santé estime ainsi que la proportion d’Européens âgés de 85 ans et plus va progresser de 14 millions en 2014 à 40 millions en 2050. Au Japon, c’est près de 40% de la population qui aura 65 ans et plus d’ici à 2060. Un «papy-boom» pris très au sérieux par les principaux pays concernés. La Commission européenne finance ainsi la fabrication du «Kompaï» de Robosoft mais également le robot «GiraffPlus», actuellement testé dans plusieurs maisons de retraite.
En Europe, les régimes de protection sociale sont régulièrement décriés pour leur coût. Vincent Dupourque souligne qu’ils constituent un atout indéniable pour le développement d’une industrie robotique médicale sur le Vieux Continent. En effet, pour l’Europe confrontée à la fois à l’allongement de l’espérance de vie et à l’augmentation des coûts de la santé, les robots sont perçus comme un moyen d’alléger la facture, en particulier en favorisant le maintien à domicile. «Indirectement, les robots peuvent participer à la stabilisation des coûts de la santé en améliorant les conditions de travail du personnel soignant, limitant ainsi les départs à la retraite anticipée dus, entre autres, à des problèmes de dos, remarque Heidrun Becker, professeure à la Haute école des sciences appliquées de Zurich. Mais les robots actuels restent très chers et doivent être entretenus régulièrement.»
Pour autant, l’industrie doit encore relever trois défis, d’ordres économique, technologique et éthique. En premier lieu, il n’existe pas encore de modèle d’affaires clairement établi pour ce genre de produits, notamment en ce qui concerne l’assistance à domicile. «Notre objectif est de vendre ou de louer des flottes de robots à des compagnies d’assurances, qui les proposeraient par la suite à leur clientèle», précise Vincent Dupourque, de Robosoft. L’entrepreneur compte également proposer des flottes de robots spécialisés aux hôpitaux.
Le deuxième défi est technologique. Actuellement, les robots permettent de répondre en partie aux besoins cognitifs des patients. La prochaine étape consiste à les doter de capacités physiques, de sorte à pouvoir ramasser un objet au sol ou aider une personne à se lever ou s’asseoir.
Restent les questions éthiques. Heidrun Becker souligne ainsi que la question de la protection des données, vu que les robots sont bardés de capteurs, est loin d’être réglée. De même, la question de la responsabilité en cas d’accident devra être tranchée: est-ce qu’elle échoit au patient, à l’assureur ou au fabricant? Enfin, pour de nombreux acteurs du monde de la santé, les robots ne doivent pas, et ne peuvent pas, remplacer le personnel soignant. En effet, un robot ne saurait, à l’heure actuelle, s’engager humainement dans des interactions sociales. Heidrun Becker considère que: «Le robot-infirmier, qui pourrait s’occuper de façon autonome d’une personne âgée, relève pour l’instant de la science-fiction.»
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ENCADRE
Un secteur en plein essor
Le marché de la robotique médicale était évalué à 1,78 milliard de dollars en 2013 et pourrait atteindre 3,76 milliards de dollars en 2018, d’après une étude de MarketsandMarkets. Il faut dire que les robots sont déjà largement utilisés dans les hôpitaux, que ce soit pour aider à la chirurgie, déplacer des charges (linge sale, repas), améliorer la rééducation (exosquelettes) ou pour distribuer des médicaments.
«Les machines se montrent utiles dès qu’une tâche fatigante ou dangereuse peut être automatisée, relève Heidrun Becker, professeure à la Haute école des sciences appliquées de Zurich. Dans le domaine hospitalier, de telles activités conduisent de nombreux professionnels à mettre un terme prématuré à leur carrière, notamment à cause de problèmes dorsaux.» De plus les robots peuvent également être utilisés pour assurer des rondes de nuit ou encore stimuler la sociabilité des patients atteints de démence, à l’instar du robot-peluche «Paro».
Au-delà du vieillissement de la population, des facteurs culturels et économiques sont aussi de nature à encourager le développement de robots médicaux. «La culture japonaise valorise davantage les robots que l’Occident», relève ainsi Emmet Cole, de la revue spécialisée «Robotic Business Review».
Si le nombre d’exosquelettes devrait exploser ces prochaines années, celui des robots chirurgicaux — segment dominé par l’américain Intuitive Surgical et son système «da Vinci» — devrait progresser de manière plus stable. Le secteur de la téléprésence a pour sa part généré un chiffre d’affaires de 19,2 milliards de dollars en 2014 et devrait doubler d’ici à 2019, pour atteindre 43,4 milliards de dollars, selon un rapport de BCC Research.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (no 4/2015).