buy cialis

John Waters, l’auto-stop et l’éthique

Et si l’auto-stop constituait une des dernières aventures permettant de porter un jugement sur ses semblables? Le cinéaste John Waters, dont les travaux sont exposés en ce moment au Kunsthaus de Zurich, l’a expérimenté. Récit.

Mouillées jusqu’aux os lors d’une randonnée, mon amie et moi tentons d’abréger la douche en levant le pouce. Débute alors un réquisitoire à l’encontre des automobilistes qui n’obtempèrent pas à notre geste:

«Bien sûr, ils sont pressés, c’est la pause de midi.»

«Pas vrai, il prend plaisir à nous éclabousser.»

«Pas question de souiller la voiture que Monsieur a bichonnée.»

«Qui sort par un temps pareil? Pas exclu qu’on nous prenne pour des réfugiées.»

«Quels égoïstes!»

Alors que les «salauds» du sketch de Coluche ne sont pas loin, une camionnette blanche fait demi-tour et s’arrête. «Vous allez où?». Le jeune homme aussi détrempé que nous — il a passé la matinée à installer un garage sous la pluie — n’hésite pas à différer d’une vingtaine de minutes son retour au sec. Sa gentillesse nous réconcilie avec le genre humain. Tel un sauveur, il rachète les péchés de tous les «connards».

La pratique de l’auto-stop génère une approche éthique très manichéenne. Qui immobilise sa voiture à la hauteur du pouce levé est «bon», qui l’ignore est «mauvais». Un constat qui se vérifie avec le témoignage de John Walters, l’enfant terrible du cinéma américain et artiste aux multiples facettes. Son septième ouvrage «Carsick» nous embarque dans l’aventure qu’il a vécue à 66 ans, non sur la Route 66 mais sur l’Interstate 70 (I-70), de Baltimore à San Francisco.

Le «Pope of Trash», réalisateur de «Hairspray», «Pink Flamingos», «Mondo Trasho» ou «Cry-Baby», s’est lancé dans cette traversée en auto-stop, muni de sa carte de crédit, d’un téléphone portable, d’un GPS et de différentes pancartes en carton aux libellés rarement rencontrés en bordure de route: «I’m not psycho», «Midlife Crisis», «Writing Hitchhiking Book».

La narration de son épopée est précédée de deux parties de fiction. De brefs récits évoquant les meilleurs et les pires scénarios envisageables. Exemples: un chauffeur-dealer lui offre les millions nécessaires pour son prochain film, Johnny Davenport, son acteur porno préféré, l’embarque, avec Lucas, fan de «Demolition Derby». Il partage des pratiques sexuelles déjantées puis découvre ce qu’est la baise avec un Alien. Côté cauchemars, se succèdent la rencontre d’un serial killer, de personnes porteuses d’épouvantables maladies, d’une drag-queen effrayante et d’autres vécus trash. Sous la sage couverture du bouquin se cachent des pages qui le sont moins.

La partie de «Carsick» qui couvre non ses fantasmes et angoisses mais son vécu est sensiblement plus apaisée. L’homme à la célèbre «pencil-thin mustache», la voix de John dans «La phobie d’Homer» des Simpson, est connu, selon les sondages, par 80% des Américains. Il l’est nettement moins chez les automobilistes qui l’ont contraint à faire l’apprentissage de la patience. «Aujourd’hui, j’ai fait du stop pendant environ neuf heures et n’ai passé qu’une dizaine de minutes dans une voiture. Je n’arriverai jamais à SF», écrit-il le soir du deuxième jour.

Lui qui cherchait à sortir des milieux gay et artistiques a été servi. Il a arpenté maints lieux isolés, découvert la malbouffe et fréquenté des hôtels bas de gamme. Mais surtout, il a côtoyé des gens «normaux». Ainsi ce Républicain d’une vingtaine d’années avec lequel il se lie d’une amitié improbable. «Ce jeune homme ignorait qui j’étais, même après que je le lui ai indiqué», s’étonne-t-il.

Au terme d’un périple de vingt et un jours, «sans le moindre déplacement effrayant, sans chauffard, sans accident et sans incidents liés à des harcèlements de policiers», bref, après un «trip cool», bien éloigné d’«On the road» de Kerouac ou d’«Into the Wild» de Sean Penn, le sexagénaire exprime «sa reconnaissance pour toute la générosité dont il a été l’objet de la part de personnes indéniablement et certainement merveilleuses qui m’ont donné la foi en la bonté d’autrui». Sa mémoire sélective a retenu les rencontres agréables et oublié les déconvenues suscitées par les comportements peu altruistes.

Une quarantaine d’œuvres photographies de films et travaux plastiques de John Waters sont exposés au Kunsthaus de Zurich jusqu’au 1er novembre. Un hommage à ce touche-à-tout de génie qui a marqué l’esthétique du cinéma. L’occasion de pratiquer l’auto-stop pour s’y rendre!