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L’Europe, cible des capitaux chinois

Les investissements chinois à l’étranger ont atteint 101 milliards de dollars en 2013. Un déploiement qui vise désormais particulièrement le Vieux Continent, où la tendance est observée avec un certain scepticisme. Explications.

Un milliardaire chinois se trouve désormais à la tête du Club Med. Au début du mois de février, au terme d’une bataille qui s’est distinguée comme la plus longue OPA de l’histoire de la Bourse de Paris, le conglomérat Fosun dirigé par Guo Guangchang a racheté le fleuron français du voyage. Il y a vingt ans encore, un tel événement aurait paru tout à fait invraisemblable. Mais la spectaculaire opération illustre aujourd’hui une tendance de fond.

Des rachats emblématiques

En 2013, les investissements directs chinois vers l’étranger ont atteint 101 milliards de dollars, contre seulement 2,8 milliards de dollars dix ans plus tôt, selon les statistiques de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). L’Europe occupe une place toujours plus importante dans ce mouvement: une étude de Deutsche Bank indique que les investissements chinois dans l’Union européenne ont grimpé de 6,1 milliards d’euros en 2010 à 26,8 milliards en 2012. Parmi les rachats emblématiques de ces dernières années sur le continent, on peut citer ceux du constructeur automobile suédois Volvo, de l’entreprise agroalimentaire anglaise Weetabix ou encore de la société allemande de machines-outils Putzmeister, sans oublier des prises de participations remarquées au capital des géants français GDF Suez et PSA Peugeot Citroën.

Les raisons de ce nouvel intérêt? Longtemps cantonnée dans le rôle d’«usine du monde», la Chine mise aujourd’hui sur une stratégie d’internationalisation et de montée en gamme pour poursuivre sa croissance. Après l’Afrique et l’Amérique latine, continents riches en matières premières, elle s’intéresse donc aux économies développées. «L’innovation est devenue un gage de survie», souligne Philippe Le Corre, chercheur à The Brookings Institution à Washington et auteur de l’ouvrage «L’offensive chinoise en Europe», publié début 2015. Selon le spécialiste, face à une forte réticence aux Etats-Unis, notamment politique, la Chine a placé le Vieux Continent, où la crise de la dette a ouvert de nombreuses opportunités, en haut de sa liste de priorité. Le pays s’appuie pour cela sur une force de frappe financière hors norme: 4’000 milliards de dollars de réserves de change, injectés en partie dans des structures qui soutiennent ses ambitions internationales, comme le fonds souverain China Investment Corporation.

«Les investisseurs chinois ont pris confiance en eux et en leur capacité à être actifs à l’étranger», remarque Andreas Bodenmann, responsable du Asia Pacific Business Center Switzerland du bureau de conseil Ernst & Young. En Suisse, à l’exception d’une poignée de grosses opérations comme l’acquisition de l’entreprise pétrolière Addax ou d’unités du groupe OC Oerlikon, les rachats visent principalement des PME au savoir-faire technologique de pointe. Mais le nombre de transactions devrait augmenter ces prochaines années et l’on peut s’attendre à ce qu’elles concernent aussi des entreprises cotées. La tendance devrait également toucher des secteurs toujours plus variés, comme le suggère le cas de l’entreprise zougoise de marketing sportif Infront (600 employés), avalée récemment par le conglomérat chinois Wanda Group.

Une chance

Courtisés par les autorités, les investissements chinois n’en continuent pas moins de susciter la méfiance du grand public. Malgré une intensification des échanges, la Chine collecte 39% d’opinions favorables en Europe, contre 70% en Afrique et 66% en Asie (hors Chine), selon le think tank américain Pew Research Center. La crainte est-elle justifiée? Andreas Bodenmann estime au contraire que l’afflux de capitaux chinois en Europe représente une chance. «Des entreprises au bord de la faillite, qui n’intéressaient personne en Occident, comme Volvo, ont ainsi été sauvées. Ces financements permettent de maintenir des places de travail. L’opportunité concerne potentiellement aussi la Suisse, par exemple dans le secteur de l’hôtellerie, qui rencontre de gros problèmes structurels.»

Quant à l’évolution des entreprises rachetées, Andreas Bodenmann constate que les investisseurs chinois se montrent globalement moins agressifs que certaines sociétés occidentales de capital-investissement et que, en Suisse, les acquéreurs chinois laissent souvent la direction des entreprises acquises inchangée. «Ils souhaitent copier la technologie pour leur marché domestique, mais aussi apprendre un savoir-faire qu’ils ne possèdent pas dans le domaine des affaires et du management. Beaucoup de CEO chinois âgés de 40 ou 50 ans n’ont aucune formation commerciale.»

Pour Philippe Le Corre, il est encore trop tôt pour tirer un bilan du phénomène, même si, à sa connaissance, les opérations qui se sont mal terminées restent rares. Il remarque que les investisseurs chinois s’intègrent assez mal dans le contexte européen et peinent à adapter leurs méthodes de management, de ressources humaines et de communication. «Dans le cas de l’entreprise allemande Putzmeister, il a fallu deux ans pour que les équipes locales et chinoises réussissent à travailler ensemble. Le business en Chine est souvent violent et fonctionne sur le rapport de force. La relation au temps est très différente, les processus décisionnels souvent très longs. Dans un contexte de méfiance vis-à-vis de la Chine, de peur de l’autre, ce qui déterminera le succès éventuel de ces investissements, c’est aussi la propension des entrepreneurs chinois à faire partie du paysage.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (no 3/2015).