KAPITAL

Tempête sur le métier d’analyste financier

Les analystes financiers constituent une cible de choix en temps de crise. De nombreuses voix critiquent leurs recommandations. Et de nouvelles start-up issues de la FinTech leur coupent l’herbe sous le pied. Explications.

Faut-il se fier aux prévisions des analystes financiers? Telle est la question qui ressurgit invariablement en période d’incertitude sur les marchés. Bien que les investisseurs aient généralement pour habitude de suivre les recommandations des professionnels du secteur, des critiques récurrentes se font entendre sur leur réelle capacité à prédire les tendances à venir. Critiques qu’un certain nombre d’études sont venues appuyer au cours des dernières années.

Ainsi, selon une enquête statistique de la firme de consulting McKinsey, datant de 2010, les analystes se sont montrés bien trop optimistes au cours des vingt-cinq années précédentes, leurs prévisions s’étant révélées 100% trop élevées en moyenne.

Plus récemment, en janvier 2014, un article des économistes Roger Loh de l’Université de Singapour et René Stulz de l’Université d’Etat de l’Ohio a également mis en cause la précision des analystes financiers. Les deux chercheurs ont passé en revue les prédictions de gains et les recommandations d’achat et de ventes émis entre 1983 et 2011, mettant en lumière un phénomène curieux: les estimations des analystes sont moins fiables lorsque le marché se porte mal. En temps de crise, ces dernières se sont en effet avérées 46% moins correctes qu’en temps normal. Pire: Roger Loh et René Stulz ont découvert que les investisseurs prêtaient encore davantage attention aux opinions des analystes lorsque l’économie était en berne.

De leur côté, les professeurs Oya Altinkilic de la George Washington University et Robert Hansen de la Tulane University se sont intéressés à la prétendue capacité des analystes à affecter les prix des actions, aboutissant à la conclusion que cette faculté n’existe pas. «Les analystes n’ont pas d’influence sur le prix des actions, explique Oya Altinkilic. Ce rôle est totalement exagéré. Ils se contentent en général de suivre l’actualité et de la relayer dans leurs recommandations, sans apporter de nouvelles informations sur le marché.»

Des méthodes imparfaites

Les analystes eux-mêmes admettent que leur métier est délicat. Anticiper le comportement des marchés a naturellement un caractère aléatoire. Même avec les meilleures méthodes d’analyse, il est toujours possible qu’un imprévu se produise. Les analystes se retrouvent pratiquement dans le rôle de la voyante dotée d’une boule de cristal: «Notre métier est de prédire l’avenir, explique un analyste parisien. C’est à nous d’évaluer, par exemple, l’impact qu’aura le virus Ebola sur l’économie globale, une tâche pratiquement impossible.»

Souvent, ces experts prennent trop de temps pour adapter leurs recommandations à l’actualité: «Les conditions du marché peuvent évoluer très rapidement et en fonction de schémas que nous ne connaissons pas, indique l’expert parisien. Les choses changent parfois trop vite.»

De plus, certaines méthodes autrefois considérées comme éprouvées sont aujourd’hui remises en cause. L’équation de Fischer, qui a longtemps permis de calculer avec efficacité les taux d’intérêt, a ainsi cessé de fonctionner vers la fin des années 2000, suite à l’intervention excessive des banques centrales.

Le métier d’analyste a par ailleurs connu de profondes transformations ces dernières années. «L’introduction de nouvelles régulations en Europe et aux Etats-Unis durant la dernière décennie limite le type d’informations que peuvent obtenir les analystes», explique le professeur Roger Loh. Le Sarbanes-Oxley Act américain oblige, par exemple, ces experts à utiliser uniquement des informations publiques, en réaction notamment aux recommandations scandaleuses révélées par le procureur général de la ville de New York Eliot Spitzer au début des années 2000.

La détérioration de l’environnement économique expliquerait également le manque de précision des résultats: selon Neil Scarth, analyste chez Frost Consulting, les budgets consacrés à l’analyse finencière auraient été réduits de 40% lors de la dernière crise. «Et l’on demande de plus en plus aux analystes de se consacrer à la vente de produits. Nous passons moins de temps à faire de la recherche originale», ajoute l’analyste parisien.

La révolution informatique redéfinit également le rôle des analystes: «Il y a bien plus d’informations dans le domaine public qu’auparavant, explique Robert Hansen. Les investisseurs disposent de milliers de données qu’ils peuvent désormais faire analyser par des ordinateurs, et n’ont donc plus autant besoin des analystes.»

La force du collectif

Des experts appellent à réformer le métier. «Aujourd’hui, les analystes se concentrent beaucoup trop sur les prédictions de gains à court terme des entreprises, explique Thomas Kahn, du fonds d’investissement Kahn Brothers basé à New York. Ils devraient passer plus de temps à décortiquer les stratégies à long terme des firmes, pour savoir si elles sont valides et vont leur permettre de réaliser de bons résultats ces prochaines années, et pas seulement ces prochains mois.»

Et, surtout, de nouvelles start-up révolutionnent le secteur. Parmi elles, Estimize, une plate-forme ouverte au grand public qui génère des analyses crowdsourcées sur les performances des entreprises. La clé de son succès? Un algorithme qui se base sur la justesse des prédictions passées et élimine les avis les moins fiables. «Nous avons 5’000 contributeurs anonymes qui couvrent plus de 1’000 sociétés», détaille Leigh Drogen, le fondateur de la société, un New-Yorkais de 28 ans qui a entamé sa carrière dans un hedge fund.

Résultat: les avis de la start-up seraient 69,5% plus précis que ceux des analystes de Wall Street. «Nous faisons confiance à la sagesse de la foule (wisdom of the crowd, ndlr)», explique Leigh Drogen, en se référant à un théorème qui stipule que les évaluations d’une masse de gens sont plus précises que celles d’un seul individu. «Apple est couverte par 42 analystes, mais nous avons 207 contributeurs qui se penchent sur cette entreprise, note-t-il. L’avantage du nombre est encore plus flagrant dans le cas de petites firmes, qui ne sont suivies que par six analystes officiels en moyenne.»
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Les métiers de l’analyse financière

Le terme générique d’analyste financier recouvre dans les faits plusieurs métiers, qui correspondent à des approches différentes. L’analyse boursière de sociétés cotées, dont il est question dans cet article, a pour nom Equity Research. Concrètement, l’analyste Equity établit son diagnostic en se fondant sur la comptabilité et le business plan de l’entreprise étudiée, à la lumière de l’environnement économique et de ses propres informations et anticipations. Le tout afin d’en tirer un objectif de cours. L’activité d’Equity Research est à distinguer, par exemple, de la Corporate Analysis, qui s’intéresse à l’achat et la vente de sociétés, ou encore du Credit Analysis, qui porte sur les opérations de prêts aux entreprises. L’analyse financière ne doit pas non plus être confondue avec l’analyse quantitative, qui concerne exclusivement l’utilisation de mathématiques financières, souvent dérivées des probabilités, et qui consiste à développer des outils et algorithmes de calcul du risque.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine.