TECHNOPHILE

L’énigme historique du caractère @

On l’utilise tous les jours pour envoyer des e-mails. On l’appelle «at», ou «arobase», même si personne n’est en mesure d’expliquer l’origine de son nom. Le mystère de ce caractère typographique reste entier.

Qu’ont en commun une petite souris, une trompe d’éléphant, une queue de singe, un asticot, un pied de chat, une oreille, un strudel et des rollmops? Tous ces termes désignent le caractère @ dans différentes langues.

Le caractère @, c’est l’icône de la modernité, le symbole du siècle technologique dans lequel nous venons d’entrer. Mais d’où vient ce drôle d’escargot englué dans la Toile?

Les dictionnaires et les encyclopédies restent muets sur ses origines. Les ouvrages de typographie également. Le site de l’Office québécois de terminologie offre quelques pistes intéressantes, mais c’est Alain Le Diberder et son «Histoire d’@, l’abécédaire du cyber» (éditions La Découverte) qui fournit les renseignements les plus substantiels.

Directeur des nouveaux programmes de Canal Plus, Alain Le Diberder tente de tracer dans son ouvrage les origines de cette lettre étrange qui incarne désormais la cyberculture. Premier constat: si l’on introduit le caractère @ dans les moteurs de recherche, ils vont l’ignorer. Et si l’on essaie le nom en toutes lettres? Mais lequel? Arrobe, arobase, arobas, arobace? Dans toutes les langues, l’appellation reste problématique.

Alain Le Diberder avance plusieurs hypothèse quant à son origine. Dans l’écriture manuscrite du Moyen Age, le signe @ a peut-être permis de contracter le mot «ad» (vers, à). Mais il est aussi possible que sa naissance soit liée à la normalisation de l’écriture par les imprimeurs de la Renaissance; selon cette piste, le caractère @ aurait été inventé des typographes. Son nom, arobase, serait alors la contraction de «a, rond, bas de casse» (caractère minuscule).

Troisième et dernière hypothèse: l’arobase proviendrait de l’arroba, cette unité de mesure inventée par les commerçants espagnols du XVIIe siècle pour évaluer le poids des taureaux dans les corridas. L’arroba, ou arrobe en français, est encore utilisée aujourd’hui. Elle désigne à la fois un poids (entre 12 et 15 kilos) et une capacité (entre 10 et 16 litres).

Le signe graphique @ ne figurait pas sur les claviers QWERTY des premières machines à écrire (1873). Il a été introduit plus tard, à la demande des comptables et des employés commerciaux. Et s’il connaît aujourd’hui un succès planétaire, c’est bien sûr par la grâce de l’e-mail, inventé en 1972 par Ray Tomlinson, un ingénieur de la firme BBN.

Pour séparer le nom du destinataire de celui de la machine qui héberge son courrier, Tomlinson avait cherché sur son clavier un caractère neutre. Plusieurs possibilités s’offraient à lui. Il choisit @ parce que ce signe pouvait se lire «at», c’est-à-dire «chez» ou «à». Ainsi, l’arobase retrouva peut-être son sens latin de «ad» et entama une nouvelle carrière.

Voilà comment le caractère @ en est venu à symboliser la cyberculture: en désignant l’origine des courriers électroniques. Pour une lettre dont l’origine reste obscure, ce destin ne manque pas d’ironie.