LATITUDES

Le tourisme moderne en sept tendances

Urbain, connecté, collaboratif: la définition du voyage passe désormais par ces adjectifs. Panorama.

1. Les nouveaux aventuriers

Le marché des activités sportives, culturelles ou en lien avec la nature est dopé par la quête d’expériences uniques.

Kayak, parapente, escalade, volontariat: les activités touristiques dites d’«aventure» rencontrent un succès grandissant. Le segment affiche une croissance annuelle de 65% depuis 2009, selon une étude de la George Washington University réalisée en partenariat avec l’Adventure Travel Trade Association (ATTA). La valeur globale du marché est estimée à 345 milliards de dollars pour 2012, en excluant les dépenses en billets d’avion. L’ATTA classe un séjour dans la catégorie «aventure» s’il implique au moins deux des trois éléments suivants: une connexion avec la nature, une interaction avec la culture locale ou la pratique d’une activité physique.

«Les touristes souhaitent toujours plus être actifs et vivre des expériences uniques», relève Chris Fair, président de Resonance Consultancy, une firme canadienne de consulting, stratégie et analyse pour les professionnels du tourisme. Il ajoute: «Les activités qui ont le plus de succès sont celles considérées comme «soft» (safaris, surf, éco-tourisme, ndlr). Celles dites «hard» comme les sports extrêmes (héliski, spéléologie, ndlr) demeurent une niche.» La plupart des sociétés du secteur se développent localement, précise le spécialiste. Mais les grands groupes s’y intéressent également. Le géant britannique du tourisme TUI Travel s’est associé avec l’australien Intrepid Travel pour créer Peak Adventure en 2011, leader du marché avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 400 millions de dollars.

2. Des touristes hyperconnectés

Les voyageurs raffolent des outils en ligne. L’industrie s’adapte.

L’impact du web sur le tourisme a agité le 21e World Travel Monitor Forum qui s’est tenu l’an dernier. Deux messages clés en sont ressortis. Le premier concerne les usages mobiles: «L’industrie doit se tenir prête pour la croissance des réservations via smartphones et tablettes», indique le rapport du forum. En 2013, 65% des réservations ont été effectuées en ligne, mais seules 2% grâce à des dispositifs mobiles, précise la publication. Mais cela devrait évoluer rapidement. Des applications mobiles audacieuses ont été lancées récemment, notamment dans l’hôtellerie, comme Hotel Tonight et Roomlia qui permettent d’obtenir des lits à prix cassé en last-minute. Le groupe Hilton, quant à lui, a développé une application pour réserver sa chambre et procéder au check-in et au check-out online et veut installer des serrures déverrouillables par smartphone d’ici à 2016 dans la majorité de ses hôtels.

Deuxième point clé: les réseaux sociaux, blogs, forums et sites de recommandations. Ils jouent désormais un rôle central dans la planification des voyages, surtout pour les «millennials». Ces jeunes qui ont grandi avec un téléphone mobile dans la poche et internet à la maison comparent en moyenne 10,2 sources avant une réservation et se fient d’abord à leurs pairs, selon International Luxury Travel Market. Les réseaux sociaux sont donc incontournables pour le marketing et les professionnels s’ajustent. Le site officiel d’informations touristiques suédois VisitSweden, par exemple, a lancé en 2011 un compte Twitter administré chaque semaine par un citoyen suédois différent qui partage sa vision du pays.

3. Les centres urbains pris d’assaut

Des investissements massifs sont entrepris pour attirer les touristes.

Les villes, saturées de touristes, peuvent-elles en absorber encore davantage? La réponse est oui. Depuis 2009, les séjours urbains ont augmenté de 47%, contre 25% pour l’ensemble des visites à l’étranger, selon le World Travel Monitor 2013. La croissance est surtout portée par les voyageurs des marchés émergents. Les «millennials» sont aussi fortement attirés par les villes. Tous les opérateurs proposent désormais des «city breaks» de courte durée. Les cinq métropoles les plus visitées dans le monde en 2014 sont Londres (18,7 millions de visiteurs, 19 milliards de dollars de dépenses), Bangkok (16,4 millions, 13 milliards) et Paris (15,6 millions, 17 milliards), selon le Global Destination Cities Index. Mais la concurrence s’accroît: en 1950, les cinq villes les plus visitées happaient 71% des touristes, contre 31% en 2011, selon l’Organisation mondiale du tourisme.

Les centres urbains bénéficient bien sûr de l’essor des compagnies low cost, mais également d’investissements massifs dans les aéroports. Le CAPA (Centre for Aviation) a recensé en 2014 des projets d’investissement dans les aéroports mondiaux pour une valeur de 385 milliards de dollars. Istanbul, en Turquie, a entamé la construction d’un nouvel aéroport à 30 milliards d’une capacité annuelle de 150 millions de passagers. Les villes misent aussi sur le shopping. On assiste à la construction de gigantesques centres commerciaux incluant tous les produits et services, notamment au Moyen-Orient, sur le modèle du célèbre Dubai Mall. En 2013, ce temple de la consommation bâti en 2008 a drainé 75 millions de personnes, dont 40% de touristes, ce qui en fait l’une des attractions les plus prisées du monde.

4. Les croisières filent à pleins nœuds

Le secteur ne connaît pas la crise et s’oriente vers davantage d’exclusivité.

Les croisières font toujours rêver. L’industrie a bien résisté à la crise économique et affiche une croissance continue. En 2013, 21,3 millions de touristes ont embarqué sur un navire, et ils devraient être 400’000 de plus cette année, selon la Cruise Lines International Association. Plus de la moitié des passagers (52%) provient des Etats-Unis. Les investissements dans le secteur ont atteint 7,2 milliards de dollars durant la saison 2013/2014, avec la mise en service de 29 bateaux. Trois groupes écrasent ce marché estimé à plus de 37 milliards de dollars, selon Cruise Market Watch: les américains Carnival Cruise Lines et Royal Caribbean International et le chinois Star Cruises.

Il reste pourtant un fort potentiel de développement, autant du point de vue de la demande que de celui de l’offre. Les Asiatiques sont pour l’instant pratiquement absents des croisières et constituent une immense réserve de clientèle. Les familles et groupes multigénérationnels représentent une autre cible de choix, puisque la taille des ferrys leur permet de proposer des activités qui conviennent à toutes les classes d’âge. L’offre, quant à elle, prend de nouvelles formes pour répondre aux exigences de plaisanciers en mal d’exclusivité. Les croisières fluviales de luxe et personnalisées, mais aussi les micro-croisières dans des zones peu explorées et difficiles d’accès connaissent un boom, avec des acteurs comme Uniworld ou Tauck World Discovery qui inaugurent constamment de nouveaux itinéraires et embarcations.

5. Tous prestataires

Voiture, appartement, conseils: tout s’obtient désormais «directement» entre particuliers.

Un citoyen lambda peut désormais exercer l’ensemble des métiers du prestataire touristique en mettant ses biens et services à la disposition du monde entier via internet: maison, voiture, compétences culinaires, bons plans. C’est ce que l’on appelle le tourisme collaboratif, qui a pris un essor considérable ces dernières années. Il y a les plateformes pour le logement que tout le monde connaît, comme la pionnière Couchsurfing, créée en 2004 en Californie, Airbnb, californienne également mais nettement moins baba cool, née en 2008, ou la suisse Housetrip, fondée l’année suivante. De nombreux autres sites ont essaimé dans tous les secteurs: Cookening pour se retrouver autour d’un repas, Vayable pour découvrir et réserver des activités recommandées par des locaux, ou encore Getaround pour louer des véhicules de particuliers.

Mais rien n’est gratuit et l’économie de partage au sens large représente désormais un marché d’ampleur. «Forbes» l’estimait à 3,5 milliards de dollars en 2013, en hausse de 25% sur un an. Dans une étude du cabinet d’analyse Nielsen réalisée auprès de 30’000 personnes et publiée en mai dernier, 68% des répondants disent vouloir partager ou louer leurs biens et services pour des gains financiers et 66% sont prêts à utiliser ceux des autres. Les jeunes sont les plus enthousiastes, puisque 42% des intéressés ont moins de 35 ans. Le segment est donc porteur pour les intermédiaires. En ce qui concerne le tourisme, Airbnb est sur le toit du monde: la société – non cotée en Bourse – est valorisée à 10 milliards de dollars. Les hôteliers l’accusent de concurrence déloyale.

6. La déferlante chinoise

La Chine franchira la barre des 100 millions de touristes cette année, avec les dépenses qui les accompagnent.

Préparez-vous à dire «ni hao!» sur les plages. La Chine est devenue depuis 2012 à la fois le pays envoyant le plus de touristes à l’étranger et celui dont les dépenses totales des voyageurs sont les plus élevées. En 2013, les 97 millions de touristes chinois ont dépensé 129 milliards de dollars, devant les Américains et les Allemands, selon l’Organisation mondiale du tourisme. Cette année, ils devraient être 114 millions à franchir la frontière (+17%), pour un budget de 140 milliards (+8%), selon la China National Tourism Administration (CNTA). Le tourisme chinois est boosté par la hausse des salaires, la diminution des restrictions de voyages, la force du yuan et l’augmentation du nombre de liaisons aériennes internationales.

Cet immense marché profite pour l’heure surtout à l’Asie: l’an dernier, 83% des voyageurs chinois qui sont passés par des agences sont restés sur le continent, selon la CNTA. Seuls 11% se sont rendus en Europe et 2% en Amérique. «La Chine est l’un des facteurs qui va le plus influencer l’industrie touristique durant la prochaine décennie, prévoit Chris Fair de Resonance Consultancy. Il va falloir s’adapter, notamment en engageant du personnel ou des guides qui maîtrisent le mandarin et connaissent les attentes de cette clientèle. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements.» Près de 70% des Chinois se déplacent encore en groupe, mais toujours plus de jeunes – davantage à l’aise financièrement – voyagent de manière indépendante, si bien que la tendance devrait s’inverser d’ici à dix ans, selon la société touristique Travelzoo.

7. Les boomers-trotters

Les personnes nées juste après la Seconde Guerre mondiale prennent leur retraite, et ont les moyens de voyager.

Les enfants du baby-boom, soit les personnes nées entre 1946 et 1964, concentrent actuellement l’attention de l’industrie touristique. Pour une bonne raison: en 2011, les premiers d’entre eux ont atteint l’âge de 65 ans, qui correspond dans de nombreux pays à l’entrée dans la retraite. Ils ont donc le temps de voyager et ils en ont les moyens. Mais surtout, ils en ont l’envie. Selon une étude de Resonance Consultancy datant de 2013 menée auprès de ménages américains avec des revenus supérieurs à 150’000 dollars, 59% des plus de 55 ans définissaient en 2012 la retraite comme «une période pour voyager et explorer de nouveaux lieux» et 42% planifiaient un séjour international dans les 12 à 24 prochains mois.

Combien sont les baby-boomers? Aux Etats-Unis uniquement, plus de 76 millions, selon le US Census Bureau, soit 24% de la population. Ils ne contrôleront pas moins de 76% des revenus disponibles du pays d’ici à 2017, selon le cabinet d’analyse Nielsen, cité par Resonance. Quel est leur profil? «Il s’agit à la fois des personnes les plus riches et les plus exigeantes des pays développés.» Ils fonctionnent beaucoup avec le bouche-à-oreille, se montrent facilement frustrés, attachent de l’importance à la sécurité, à la qualité – des compagnies aériennes notamment – et aiment voyager durant les saisons creuses – en raison de leur temps libre. Ils sont également enclins à partir en famille. Les séjours multigénérationnels constituent d’ailleurs une autre grande tendance touristique.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5/2014).