LATITUDES

Les vertus hallucinantes des champignons magiques

Les psilocybes ont des propriétés thérapeutiques qui suscitent l’intérêt des chercheurs. Les risques liés à leur consommation semblent limités.

Les champignons hallucinogènes, un substitut idéal aux traitements conventionnels contre la dépression, le stress? Ou encore contre les terribles maux de tête provoqués par une maladie rare? Certaines personnes souffrant par exemple de l’algie vasculaire de la face, appelée aussi suicide headache, veulent le croire, car ces champignons leur «ont rendu la vie». Des patients qui ont trouvé dans les psilocybes un moyen inespéré de faire cesser leurs crises, grâce à la substance psychoactive de ces champignons «magiques».

Les propriétés thérapeutiques de la psilocybine, isolée à la fin des années 50 par le chimiste suisse Albert Hofmann, créateur du LSD, ont été mises en évidence dans plusieurs recherches récentes. Une étude de la Clinique psychiatrique universitaire de Zurich publiée dernièrement a démontré que la psilocybine réduit les réponses aux stimuli négatifs du complexe amygdalien, zone du cerveau impliquée dans la régulation des émotions. Les volontaires, à qui les chercheurs ont administré la substance, ont vu leur humeur s’améliorer. D’autres études ont relevé l’intérêt de la psilocybine pour lutter contre la dépression ou encore l’anxiété, notamment chez les personnes atteintes de cancer. Mais également les troubles obsessionnels compulsifs, grâce à son action sur les récepteurs sérotoninergiques qui font partie du système nerveux, les mêmes qui sont ciblés par les antidépresseurs.

Plus heureux, plus optimiste

De faibles quantités de psilocybine suffisent à produire des résultats thérapeutiques. A haute dose, la substance provoque cependant des effets proches de ceux du LSD: illusions sensorielles, distorsions spatiotemporelles, déréalisation, transcendance. Des sensations que recherchent les adeptes du psychédélisme qui consomment des champignons hallucinogènes. Eux aussi en retireraient des effets bénéfiques. Selon une étude publiée en juillet dernier dans le mensuel américain consacré aux neurosciences Human Brain Mapping, les champignons permettent de débloquer des régions du cerveau généralement actives uniquement lorsque l’on rêve, tandis qu’ils affaiblissent celles associées à des hauts degrés de cognition, dont la conscience de soi-même, élargissant l’esprit.

Les champignons magiques, du moins les psilocybes, rendraient donc plus heureux, plus optimiste et moins centré sur soi-même. Leur consommation comporte-t-elle néanmoins des risques? «En réalité, pas tellement, explique le professeur Daniele Fabio Zullino, médecin-chef du Service d’addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève. Rien ne permet d’affirmer qu’ils soient addictifs, même s’il y a des usagers compulsifs, ni qu’ils soient toxiques pour le cerveau ou le foie. A ma connaissance, il n’existe pas de cas de surconsommation fatale documentée. Nous recevons des patients à cause de l’alcool ou de la cocaïne, mais pas des psilocybes. Pourtant, des consommateurs, il y en a.» Quant à la menace de rester «croché», il s’agit d’un mythe, selon le spécialiste. «Les champignons ne rendent pas non plus schizophrène.»

Les puissants effets des «champis» ne sont pas à prendre à la légère pour autant. Ils peuvent déclencher de violents bad trips, de mauvaises expériences accompagnées de visions traumatisantes lors desquelles on a l’impression qu’on ne reviendra plus jamais à la réalité. «Les effets anxiogènes peuvent durer plusieurs dizaines de minutes et provoquer des crises de panique.» Il faut aussi mentionner de potentiels flash-back. Certains comportements associés à la prise de champignons peuvent être également problématiques. Il est ainsi fortement déconseillé d’en consommer dans des endroits peu sécurisés ou, bien sûr, en conduisant, car ils entraînent perte de contrôle et vulnérabilité. Mais les histoires de personnes se prenant pour des oiseaux et sautant du balcon relèvent du fantasme. Daniele Fabio Zullino souligne, par ailleurs, la possibilité de s’intoxiquer avec une autre espèce de champignon.

Interdit, sauf exception

Quoi qu’il en soit, en Suisse, les psilocybes sont considérés comme des stupéfiants. Le commerce et la consommation des champignons hallucinogènes contenant de la psilocybine sont interdits, sauf autorisation exceptionnelle de l’Office fédéral de la santé publique pour la recherche ou le domaine médical. Les sanctions vont de la réprimande à une peine privative de liberté de trois ans au plus. Ceux qui seraient tentés d’aller cueillir des «psilos» dans le Jura pour en expérimenter les vertus sont prévenus.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.