GLOCAL

Michel Rocard, le spleen de la politique et la poupée Barbie

La firme Mattel commercialise une version politicienne de sa célébrissime poupée. Au même moment, Michel Rocard déclare que si c’était à refaire, il ne se lancerait plus dans une carrière politique. Coïncidence?

Dans une émission de radio, Michel Rocard disait récemment que si c’était à refaire, il ne se lancerait plus dans une carrière politique. Peu après, j’ai appris que Barbie présentait sa candidature à la Maison Blanche. Coïncidence? Le pouvoir serait-il sur le point de passer dans la sphère féminine?

Examinons d’abord le cas Barbie. En cette année d’élections présidentielles américaines, la firme Mattel commercialise ainsi une version politicienne de sa célébrissime poupée, avec petit costume bleu strict et pupitre pour les conférences de presse. L’annonce de cette candidature sauvage a provoqué un déluge de controverses outre-Atlantique. Il y est question de féminisme, de politique et de culte de la célébrité.

Comme Hillary Clinton à qui elle ressemble d’aileurs étrangement, la nouvelle Barbie constitue une sorte de test de Rorschach des valeurs américaines. Certains commentateurs la considèrent comme un affront au genre féminin, d’autres comme un phare du post-féminisme. Seule certitude, la poupée est la femme la plus regardée d’Amérique. Un tel statut devrait logiquement lui servir de tremplin.

Mais saura-t-elle résister à l’épreuve d’une campagne électorale? Les cancans iront bon train au sujet de son tatouage et de son compagnon Ken. Les mauvaises langues rappelleront que des milliers de robes de mariée ont été vendues, mais aucun mariage conclu. La Maison Blanche est-elle prête à accueillir un couple de concubins? Et le passé frivole de Barbie? Après avoir été cowgirl, reine du hula-hoop, mannequin ou surfeuse à Malibu, la voilà qui souhaite être prise au sérieux!

Selon Joan Ryan, journaliste au San Francisco Chronicle, l’exercice ne devrait pas être plus difficile pour elle que pour le puérile George Bush. Et puis, selon la même journaliste, Barbie dispose d’une caractéristique des plus attractives pour tous ceux que les années Clinton ont dégouté: elle ne possède pas d’organes génitaux («no genitalia»).

Et puis, son site n’est pas niais du tout. On y découvre une Barbie qui veut éveiller les consciences politiques. Les petites internautes américaines peuvent y prendre une véritable leçon d’éducation civique en compagnie de leur poupée préférée. Les différentes étapes qui mènent à la présidence n’auront désormais plus de secret pour elles. Primaires, investiture du parti, campagne dans les différents Etats, programme politique y sont expliqués en détail.

Son programme est clair: Barbie se battra pour l’égalité, la paix dans le monde, les droit des animaux, l’éducation et l’environnement. Pour défendre sa candidature, elle a su s’entourer d’une équipe multiraciale et féminine très convaincante. Quant à son choix pour la vice-présidence, il est des plus flatteur: c’est VOUS!

Enfin, très démocrate, Barbie consulte ses troupes. Cliquez sur «Speak out!» et faites savoir quelles sont vos priorités. La future présidente promet d’en tenir compte.

Mais pourquoi avoir anticipé l’issue favorable du scrutin? Seule explication plausible, le fabricant Mattel pouvait de la sorte vendre sans délai la robe rouge laminée pour le bal inaugural. Certains commentateurs parlent de suffisance imméritée («unearned cockiness»). Une erreur à ne pas répéter dans quatre ans lorsque, de virtuel, l’exercice deviendra réel avec, dans le rôle de Barbie, qui sait, une certaine Hillary.

Après avoir rêvé de devenir coiffeuses, actrices ou infirmières, les petites Américaines caresseront désormais des rêves politiques. Y a-t-il vraiment lieu de s’en réjouir quand, du côté masculin, la politique est de moins en moins associée au rêve?

Il y a quelques jours, sur les ondes de France Culture, le philosophe Alain Finkielkraut invitait François Léotard et Michel Rocard à débattre précisément du «spleen des politiques».

Il n’y eut pas véritablement de débat, mais un constat désabusé d’une crise du politique; son champ d’application rétrécit et les médias, qui prennent toujours plus de place, se retrouvent sans contre-pouvoir. Pas étonnant que l’on assiste à une crise des vocations. Respectés hier, les politiciens sont aujourd’hui suspectés. Ras le bol de ces mises en examen: ils vont voir ailleurs.

«Si vous aviez 3o ans aujourd’hui, vous relanceriez-vous en politique?», demanda Finkielkraut. Sans hésitation, Rocard répondit: «Non, le jeu n’en vaut pas la chandelle».

Bienvenue à Barbie et ses sœurs dans le monde désenchanté de la politique!