KAPITAL

La difficile réinsertion des mères au foyer

Près de 15’000 femmes cherchent un emploi chaque année en Suisse, après s’être occupées de leurs enfants. Leur parcours est souvent semé d’embûches.

Au début des années 2000, un tiers des femmes suisses arrêtaient de travailler à la naissance de leur premier enfant. «Depuis quatre ans, elles ne sont plus qu’un quart. La crise et la baisse de sécurité économique poussent les deux parents à continuer de travailler», observe Françoise Piron, directrice de l’association Pacte, spécialisée dans la question du travail des femmes. Les femmes qui renoncent à travailler invoquent différentes motivations: l’envie de voir leur enfant grandir, suivre un mari qui s’expatrie à l’étranger ou entourer à temps plein un enfant né avec un handicap. Mais aussi parce que, dans bien des cas, le second revenu passe entièrement aux frais de garde et aux impôts. «Le système est tordu: les femmes — qui représentent souvent le plus petit des deux revenus — sont poussées à ne pas travailler, car cela coûte trop cher», relève la directrice.

Selon l’Office fédéral de la statistique, elles seraient 15’000 par année à vouloir réintégrer le marché du travail, souvent lorsque leur deuxième enfant commence l’école. Il s’écoule donc généralement entre 7 et 10 ans entre l’arrêt de travail et la réinsertion. «Je suis étonnée du nombre de femmes qualifiées qui n’ont pas travaillé pendant 10 à 15 ans, alors qu’elles avaient imaginé une pause de trois ans, analyse Françoise Piron, qui accompagne plusieurs dizaines de femmes concernées. Elles assument généralement très bien ce choix vers 30 ou 40 ans. Les choses se compliquent plus tard, d’autant plus lorsque leur vie de couple bascule, que leur mari quitte la maison ou qu’il décède.» Elles se retrouvent alors dans l’urgence de trouver un emploi, sans avoir le temps d’anticiper le retour au travail, voire même se reconvertir par le biais d’une nouvelle formation. Car toutes les femmes ne souhaitent pas exercer leur métier précédent.

Pour la majorité des mères au foyer, la réinsertion est de moins en moins évidente. Aux yeux des employeurs, un arrêt de travail de cinq ans est considéré comme trop long. Selon les professions, de nouveaux développements (informatiques, méthodologiques, etc.) engendrent un décalage avec les compétences actuelles. Autre facteur, en vingt ans, le nombre de femmes qui se lance dans des formations poussées a considérablement augmenté. «Cela induit une nouvelle donne: les femmes en réinsertion professionnelle après un long congé maternité sont surqualifiées, même si elles n’ont pas d’expérience directe dans leur profession, ajoute la spécialiste. Si vous êtes licenciée en droit, on ne vous prendra pas comme secrétaire, de peur que vous vous lassiez. L’employeur sait que cela va être frustrant à long terme, même si vous êtes motivée.»

Le profil des femmes au foyer en réinsertion a donc changé. Le marché de l’emploi se trouvant actuellement plus tendu pour les cadres que pour les employés au chômage, cela ne leur facilite pas la tâche. Pour cette population universitaire d’un nouveau genre, lâcher totalement le monde du travail demande plus d’effort à fournir pour le réintégrer.

D’autant plus qu’il n’existe que peu de moyens mis à disposition des mères au foyer en voie de réinsertion. Dans la plupart des cas, elles n’ont pas droit aux indemnités de chômage, les services d’orientation ne leur sont pas toujours adaptés et les sociétés privées de coaching qui proposent conseils et bilans de compétence coûtent cher. Autre difficulté majeure: les femmes au foyer sont coupées de leur réseau professionnel. Cela représente un handicap quand on sait que 80% des cadres retrouvent un job grâce à leurs contacts.

Selon Françoise Piron, le réseau représente en effet l’élément le plus précieux d’une carrière. Sitôt qu’une femme, qualifiée ou non qualifiée, envisage de retrouver un emploi, elle devrait commencer par raviver d’anciennes relations ou construire un nouveau réseau. En parallèle, certaines institutions, comme les offices régionaux de placement ou les services de consultation, sont d’excellentes sources d’informations relatives aux subventions fédérales pour une formation continue, pour les démarches en vue de l’obtention d’un titre formel par validation des acquis tirés du travail domestique (événementiel, administration, gestion des comptes), pour les perfectionnements ou les cours envisageables.

Idem auprès de certaines organisations de corps de métier, notamment les soins infirmiers ou le secrétariat, qui proposent parfois des remises à niveau. Certaines associations, telles que Pacte ou Bloom and Boom, mettent en place des stages, des ateliers ou des réunions visant à encourager la solidarité, créer un pool de compétences et un réseau de femmes concernées, afin qu’elles retrouvent confiance en elles. «Les histoires de réinsertion réussie sont nombreuses, mais plus une femme est qualifiée, plus le chemin est semé d’embûches, avertit Françoise Piron. C’est pourquoi le choix de carrière le plus judicieux consiste à garder un pied dans le monde du travail et donc de son réseau professionnel, soit par le biais d’un temps partiel, soit par une activité bénévole.»
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TÉMOIGNAGES

«Après 15 ans d’arrêt, j’ai retrouvé un poste d’assistante de direction»
Jacqueline, 49 ans, La Côte

«Employée de commerce de formation, j’ai conservé mon poste d’assistante de direction à mi- temps lorsque j’ai eu mon premier enfant à 28 ans. Lorsque le deuxième est arrivé, je pensais profiter du congé maternité réglementaire. Mais mon mari a été muté à Londres pour un contrat de trois ans. Sans les accords bilatéraux, il m’était impossible d’obtenir un permis de travail. J’ai donc passé ces trois ans à élever mes deux enfants, puis un troisième. De retour en suisse en 1998, la situation n’était pas favorable car mon mari voyageait beaucoup et ma famille était éloignée de chez moi. Les années ont donc passé… En 2010, 15 ans après mon arrêt de travail, j’ai repris une activité bénévole qui consistait à donner des cours de conversation française aux expatriés. Le vrai tournant a eu lieu deux ans plus tard. Par le biais de la formule «Café Emploi» de l’association Pacte, j’ai appris à mieux connaître le monde du travail actuel, à réseauter, à me mettre en valeur dans un CV, à obtenir et réussir un entretien d’embauche. Ce tremplin formidable m’a donné confiance en moi. Assez vite, j’ai trouvé un emploi à 60%, en-dessous de mes compétences. Peu valorisant, il était plutôt nocif que positif. Alors j’ai donné mon congé pour me consacrer entièrement à mes futures recherches, notamment en faisant un bilan professionnel, à mes frais, auprès d’une coach privée indépendante. Grâce à mon réseau, j’ai trouvé un poste d’assistante de direction à 100%. Mes enfants étudient tous à l’université et mon mari travaille toujours autant. J’ai donc le temps de m’investir dans mon poste.»

«Lorsque mes enfants ont été scolarisés, je me suis remise à réfléchir à ma vie»
Nicole Schaffter, 51 ans, Courrendlin (JU)

«Lorsque j’ai eu mon premier enfant, à 24 ans, je voulais réduire mon temps de travail en tant qu’employée de commerce, mais cela n’a pas été possible. Du coup, j’ai décidé de faire une pause d’un an ou deux pour l’accueillir. Entretemps, mon mari et moi avons construit une maison, puis un deuxième bébé est arrivé. Ces années étaient donc bien remplies et puisque mon mari nous assurait une situation confortable, je me suis habituée à cette vie de femme au foyer. Ce n’est que lorsque mes enfants ont été scolarisés que je me suis mise à réfléchir à ma vie. J’avais à nouveau du temps pour moi et ne voulais surtout pas être une mère omniprésente. Alors âgée de 37 ans, j’ai suivi divers cours de développement personnel et j’ai fait un bilan de compétence dans un centre d’orientation professionnelle qui m’a permis de faire valoriser mes compétences et mes lacunes. L’informatique étant l’une d’entre elles, j’ai suivi un cours à mes frais. Avec cette nouvelle confiance en moi, j’ai obtenu un poste de responsable d’administration dans un centre d’accueil et de formation, puis un autre dans un planning familial, qui m’a permis de suivre en parallèle une formation d’art thérapeute. Depuis que j’ai obtenu mon diplôme en 2005, je me suis mise à mon compte et j’anime des ateliers pour Sibir’elles, une association notamment active dans la réinsertion professionnelle des femmes. Mes enfants sont actuellement ravis de me voir épanouie dans mon travail. Cependant, mon mari et moi sommes séparés depuis 1 an. Avec le recul, je conseille aux femmes de reprendre une activité progressivement, parce que ce changement peut être vécu comme un bouleversement pour la famille.»