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Le succès des ports francs profite aux PME

A Genève, les entrepôts non soumis aux douanes constituent un centre névralgique du marché de l’art. Plusieurs entreprises locales bénéficient de cette activité en plein essor.

L’austère bâtiment s’élève entre une bretelle d’autoroute et des voies de chemin de fer, en dehors du centre-ville de Genève. A l’intérieur des ports francs, les longs couloirs et l’antique monte-charge ne sont guère plus chaleureux. «Rien de très sexy, s’amuse le marchand d’art Simon Studer, dont les locaux sont situés au troisième étage. Mais j’apprécie le style industriel du lieu et sa réputation de professionnalisme.»

Les meubles de designers qui équipent le vaste bureau de sa société rappellent que les entrepôts genevois abritent d’innombrables trésors: pierres précieuses, montres, or, automobiles, antiquités, cigares, vins et surtout oeuvres d’art sont conservés derrière les portes closes. Une caverne miraculeuse autour de laquelle gravitent de nombreuses entreprises.

La Suisse possède dix de ces zones qui permettent de différer le paiement des droits de douane et de TVA d’une marchandise. Celle de Genève, gérée par une société mixte appartenant à 86% au canton, se démarque dans le marché mondial de l’art. Les ports francs du bout du lac en constituent l’un des principaux carrefours et connaissent un essor rapide.

«Dès la fin des années 1990, nous avons adapté nos locaux pour l’accueil d’oeuvres d’art en les équipant notamment de systèmes de contrôle de température, d’hygrométrie ou de sécurité, souligne Alain Decrausaz, directeur de la société des Ports Francs et Entrepôts de Genève, qui emploie une quarantaine de personnes et génère un chiffre d’affaires de 22 millions de francs par an. La demande est constante. Nos 140’000 mètres carrés (l’équivalant de 19 terrains de football, ndlr) de surface d’entreposage affichent un taux d’occupation de 99,7%. Un nouveau bâtiment de 10’000 mètres carrés dédié aux oeuvres d’art, qui sera inauguré en mai, est déjà intégralement loué.»

Les ports francs genevois profitent de l’importance croissante du marché de l’art, de la hausse de la production artistique et du fait que les pièces contemporaines deviennent toujours plus volumineuses. Depuis la crise, l’établissement bénéficie également de la volonté des investisseurs de diversifier leurs actifs. Il se spécialise d’ailleurs aussi dans le vin, un autre secteur en plein boom, et se targue de posséder la plus vaste cave du monde avec 3 millions de bouteilles.

Services et sécurité

Cette ébullition se répercute sur le tissu économique local. Alain Decrausaz dénombre environ 500 entreprises clientes ou utilisatrices des locaux. «Les ports francs constituent un pôle d’activité qui prend de l’ampleur. Sept galeries s’y sont, par exemple, installées en l’espace de cinq ans. Quotidiennement, quelque 630 personnes travaillent sur le site et on recense des pics à près de 1200 personnes.» Transporteurs, transitaires, négociants, manutentionnaires, restaurateurs d’oeuvres, bureaux d’experts, encadreurs, assureurs: tous profitent de la tendance.

«Les grandes sociétés de vente aux enchères ne se sont pas installées à Genève par hasard», poursuit Alain Decrausaz. Discrétion oblige, les noms ne sont jamais divulgués. Comme le souligne Simon Studer, les ports francs de Genève représentent «le centre névralgique de tout ce qui n’est pas visible dans le marché de l’art».

Grossiste en pierres précieuses, la firme Bengems fait partie depuis 2011 de ce petit monde très secret. La société figure parmi la poignée d’acteurs spécialisés dans les pierres précieuses présents sur place. «Je travaille pour des grandes marques suisses de joaillerie et crée mes propres bijoux, raconte son directeur Benjamin Mizrahi. J’ai choisi ce lieu avant tout pour sa sécurité: il y a des contrôles en permanence, des caméras partout et un poste de police à quelques centaines de mètres.» D’autres, comme Simon Studer, mettent en avant l’aura des lieux et son réseau de services, notamment celui de transitaires.

Les transitaires — une cinquantaine dans le canton — sont la clé de voûte du système, surtout ceux qui se spécialisent dans l’art. C’est le cas de Natural Le Coultre, premier locataire avec une surface de 20 000 mètres carrés et 3000 mètres carrés déjà réservés dans la future extension. Acteur historique de la logistique genevoise, l’entreprise a misé sur les oeuvres d’art en se séparant de ses autres activités dès la fin des années 1990. «Nous avons démarré à quatre, se souvient le directeur Yves Bouvier. Aujourd’hui, nous sommes 60.»

La société propose des services de transport, d’entreposage des oeuvres, de gestion des formalités douanières, d’emballage, d’accrochage ou encore de gestion d’expositions. La forte demande pour ce type de services n’a pas entraîné l’émergence de nouveaux acteurs et profite aux entreprises déjà bien implantées. «Les coûts sont bien trop élevés pour démarrer de zéro», explique Yves Bouvier.

Isabelle Harsch, membre de la direction de l’entreprise de déménagement et de logistique pour oeuvres d’art Harsch, le confirme. «Il faut répondre à des conditions strictes et pouvoir garantir la qualité de l’entreposage pour les objets sensibles, ce qui représente un investissement important. La réputation et l’ancienneté revêtent une valeur inestimable pour nos clients: galeries, maisons de ventes aux enchères, musées et particuliers.»

Fondée en 1957, la société, qui emploie aujourd’hui 98 personnes, a vu ses effectifs et son chiffre d’affaires doubler ces quinze dernières années. «L’attractivité des ports francs rejaillit sur nous, souligne Isabelle Harsch. Nous cherchons constamment de nouvelles surfaces d’entreposage.» En 2010, la société a construit un nouvel entrepôt de 6000 mètres carrés dans lequel elle dispose de sa propre zone franche. Cette possibilité offerte par la Confédération depuis 1995, sous le nom d’Entrepôts douaniers ouverts, est actuellement exploitée par 21 entreprises dans le canton.

Tableaux de maîtres à entretenir

Présent aux ports francs depuis vingt ans, l’Atelier Arte propose encore un autre service: la restauration de tableaux sur toile et bois, du Moyen Age à l’époque contemporaine. Les réparations de déchirures ou de griffures et le nettoyage de surfaces, par exemple d’un vernis jauni, figurent parmi ses interventions les plus courantes. «La plupart des grands collectionneurs et marchands internationaux possèdent des tableaux aux ports francs, explique Andrea Hoffmann, la cofondatrice de la société. Notre clientèle exige beaucoup de discrétion. Dans ce milieu, tout le monde se connaît et tout fonctionne par le bouche-à-oreille. Le fait d’être sur place nous permet de traiter des tableaux exceptionnels, ce qui est très satisfaisant. Nous avons par exemple travaillé récemment sur un Picasso d’une valeur de 50 millions de francs.»

Le Fine Art Expert Institute, une entreprise d’analyse scientifique de cinq personnes fondée en 2009, est spécialisé dans l’authentification des oeuvres, leur datation ou dans les inventaires de collections en utilisant des techniques comme la radiographie ou l’infrarouge. «Il existe un besoin accru d’informations à propos des oeuvres, notamment pour la détection de faux, explique Yan Walther, directeur de la société depuis 2011. Le fait de se trouver dans un port franc à la réputation de sécurité irréprochable représente un fort avantage comparatif par rapport à nos concurrents suisses et étrangers.»
Pour Alain Decrausaz, la place de Genève dans le marché de l’art restera importante et le pôle d’attraction que représentent les ports francs est promis à un bel avenir. «Nous avons encore la possibilité de construire et nous envisageons déjà un bâtiment supplémentaire dans les dix prochaines années.»
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Les ports francs, comment ça marche?

La particularité d’un port franc est avant tout fiscale. Les autorités ne perçoivent pas de droits de douane ou de TVA pour les marchandises qui s’y trouvent. Le propriétaire devra en revanche s’acquitter de ces frais lorsque les biens atteignent leur destination finale. Le système permet ainsi de stocker des marchandises sans les dédouaner avant de les réexpédier à l’étranger ou de les importer définitivement en Suisse. Dans le monde de l’art, ces entrepôts séduisent principalement les investisseurs, qui achètent des oeuvres sans volonté d’exposition. Ils attirent également les marchands et les galeries, qui acquièrent des pièces sur le marché international dans le but de les revendre. Bien qu’aucune taxe ne soit perçue, toute marchandise entrant ou sortant d’un port franc fait l’objet d’une déclaration de douane. Pour certains biens, comme les oeuvres d’art, la loi exige la tenue d’un inventaire précis.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.