LATITUDES

Marco Weber, pirate contemporain

L’image du flibustier n’a jamais été aussi présente qu’aujourd’hui. Le militant suisse de Greenpeace parti à l’assaut d’une plateforme en Russie en est la dernière incarnation.

Sans khôl autour des yeux, mieux que Johnny Depp, Marco Weber m’a conquise. Contrairement au bel acteur américain, il accomplit ses exploits sans doublure ni cachet mirobolant. A la télévision, j’ai découvert les images hallucinantes d’un homme-araignée parti à l’assaut d’un monstre, malgré les lances à eau qui s’abattaient sur lui.

Marco Weber est un courageux petit Suisse au pays de Poutine. Son portrait souriant a fait le tour de la planète. Une photo d’une rare beauté, en particulier, m’a fascinée. Telle une toile des maîtres anciens, elle se compose d’un fond rougeâtre délavé dans lequel se détache, en forme de V, un énorme cordage bleu auquel est accroché une frêle silhouette casquée. En réalité, il s’agit de la paroi d’une plateforme pétrolière russe, sur laquelle le militant de Greenpeace tente de se hisser pour déployer une banderole.

Pourquoi suis-je tombée sous le charme d’un pirate? Suis-je victime d’un effet de mode? Il faut dire que les flibustiers sont tendance. Le «Jolly Roger» — la tête de mort surmontant deux tibias ou deux sabres entrecroisés –, n’a jamais été aussi utilisé. Présent sur les vêtements, au cinéma, dans les BD, le pavillon noir est également hissé aux mâts des résidence secondaires, sur les gréements des bateaux de plaisance ou encore, transformé en autocollant, il s’affiche sur les voitures. Enfin, l’habit de forban demeure le déguisement préféré des petits garçons.

Inculpé, avec vingt-sept membres de l’équipage de l’Arctic Sunrise, pour «piraterie en groupe organisé», Marco Weber n’est pourtant pas de la trempe d’un Erik Le Rouge, d’un Barbe-Noire ou d’un Francis Drake. Agé de vingt-huit ans, ce Zurichois a simplement mis, depuis quatre ans, ses compétences en matière d’escalade au service de Greenpeace et a déjà pris part à plusieurs opérations. En tentant de mettre pied sur le pont de la plateforme Prirazlomnaya de Gazprom en mer de Barents, son dessein était d’attirer l’attention publique sur des pratiques dommageables pour l’environnement.

«Le 18 septembre, j’ai fait face au danger et couru le risque d’être mis en prison parce que j’ai la conviction que nous avons le pouvoir de faire changer les choses! Nous, le nombre impressionnant de personnes dans le monde entier suffisamment courageuses et se sentant assez concernées pour se battre pour notre futur et les générations à venir!», écrit le «pirate» dans une lettre de sa prison de Mourmansk.

Marco Weber et ses compagnons sont surtout des lanceurs d’alerte: «Des organismes de vigilance comme Greenpeace se sont développés, prenant le relais des Etats, multipliant les alarmes. De simples citoyens et des chercheurs font la même chose, dénoncent l’aveuglement des administrations et les conflits d’intérêts. D’où l’idée de les appeler des lanceurs d’alerte. A la différence du whistleblower, qui révèle une dérive ou un abus de pouvoir déjà existant, le lanceur anticipe un risque. Il révèle un danger sous-évalué, ou méconnu. Il veut arrêter un processus qu’il croit fatal», stipulent Francis Chateauraynaud et Didier Torny dans leur essai «Les sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque».

Vladimir Poutine va-t-il maintenir longtemps dans ses geôles ces pirates d’un nouveau type? Face aux récriminations des dix-huit Etats auxquels appartiennent les militants arrêtés, le président russe pourrait bien juger opportun de les libérer. Ne serait-ce que pour ne pas ternir les Jeux de Sotchi.

Une fois libéré, Marco Weber pourra revenir en Suisse poursuivre son activité de guide au Club alpin de la section Rinsberg (ZH). L’occasion, pour les admiratrices dont je fait partie, de s’encorder avec le pirate pour conquérir non pas une plateforme pétrolière russe, mais un sommet des Alpes. Ma demande d’inscription est déjà lancée.