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Punkt Schlumpf

Alors que le débat sur la Lex USA fait rage, Eveline Widmer-Schlumpf semble être devenue la personnalité la plus détestée du pays. Et si cette femme incarnait le visage d’une Suisse nouvelle, débarrassée de ses vieilles opacités?

Un hasard, vraiment? Comme il est curieux en tout cas de voir monter l’impopularité de cette ministre des Finances qui ne ressemble à rien, Grisonne, fille de Léon l’accordéoniste (l’un de ses rares points communs sans doute avec Georges Brassens) et qui fut, lui, un conseiller fédéral sans histoire — l’accordéon, c’est tout ce que la postérité a retenu. Oui, voir Eveline Widmer-Schlumpf en personnalité désormais la plus détestée de Suisse — du microcosme politique en tout cas — aurait presque quelque chose de rafraichissant.

Un hasard, donc? C’est à voir. Eveline Widmer-Schlumpf, que curieusement personne ne surnomme EWS, fut élue, par défaut certes, sans parti ni notoriété nationale, mais surtout contre Blocher. Un Blocher qui incarne quand même cette Suisse de toujours, solide, mordante, agressive, sûre de son exceptionnelle et universelle exception, et d‘avoir raison contre, au moins, le monde entier. Sûre de l’inviolabilité de ses coffres-forts et de son impunité aussi. Cette même vieille Suisse insubmersible et qui coule pourtant aujourd’hui à pic sous l’oeil impavide d’une Eveline qui laisse faire, qui semble même pousser au naufrage.

C‘est donc ce visage-là qui incarne désormais l’infâme «reddition», l’odieuse «capitulation», la mise à mort du secret bancaire, cette prunelle des yeux d’une Suisse pourtant de plus en plus aveugle aux comptes qu’on veut lui régler de partout. Elle, enfin, qu’on considère désormais comme une Mata Hari des alpages à la solde de l’empire américain, autant dire du mal absolu. L’UDC en appelle ainsi à «l’unité et à la résistance face au chantage américain», Blocher, tiens, tiens, fustigeant «ces Etats-Unis qui nous dictent comment légiférer». Des UDC qui ont soutenu dans la foulée une motion socialiste réclamant davantage d’informations pour accepter la désormais fameuse et machiavélique «lex americana».

Pendant que trois jolis messieurs, les trois fantômes en charge des départements de l’économie, des affaires étrangères et de l’intérieur continuent de faire semblant d’être ailleurs, Eveline, donc, encaisse. La femme, il faut dire, a une réputation de travailleuse, du genre honni qu’on croise au bureau «de tôt à tard», carburant au café et au thé noir. Du genre aussi à avoir passé ses licences d’avocat et de notaire puis assumé son job de Conseillère d’Etat tout en élevant ses trois enfants, plus la fille d’une soeur décédée. «Ouverte à tous ceux qui sont dans la détresse» certifiait sa meilleure amie Heidi Köstinger, il y a deux ans, dans les colonnes de L’Hebdo. Les responsables du fisc américains confirmeront sans doute.

Réputée aussi pour un sang-froid à tout épreuve, EWS, et une résistance hors norme à la pression. Elle assure elle-même ne pouvoir «être bouleversée que par la mort d’un proche», ce qui indique déjà un solide sens des hiérarchies et priorités. On aurait quand même pu se méfier. Son lieu de naissance déjà aurait dû alerter, Felsberg, tas de cailloux si on traduit au plus large. Comment, aussi, dans cette Suisse de l’opacité monétaire, du business à tout prix et sans frein, a-t-on bien pu faire confiance, au point de lui confier le ministère des finances, à quelqu’un proférant ce genre d’hérésie: «Les impôts sont en quelque sorte la circulation sanguine de l’Etat.»

Ses ennemis, désormais innombrables, ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas prévenus. En réunion électorale fin 2011 — année qui verra sa réélection au Conseil fédéral, que chacun pendant quatre ans s’était acharné à lui prédire impossible — voici ce qu’EWS avait déclaré au milieu des flonflons, pain et fromage: «Notre place financière doit devenir propre.» Punkt Schlumpf.