La libre circulation des personnes a donné lieu à une surenchère de fortes et diverses convictions politiques n’ayant qu’un défaut: être écrites d’avance.
Et ils firent voir leurs belles convictions, comme d’autres leurs luisantes musculatures. La session spéciale du Conseil national voulue par l’UDC en fut l’occasion. L’intitulé déjà annonçait qu’on allait voir ce qu’on allait voir: «La réalité Schengen-Dublin, libre circulation des criminels et abus dans le droit d’asile».
Un vrai produit d’appel… Un de ces sujets rendu abstrait par son objet même: les requérants, les petites et grosses frappes transfrontalières pour la majorité des députés n’ont pas d’autre réalité que médiatique. De vrais aliens désincarnés. L’occasion rêvée donc pour chacun de réciter son propre catéchisme, coulé dans le marbre du militantisme le plus revigorant. Le plus creux aussi.
A tout saigneur tout honneur: l’UDC d’abord, pour qui les choses sont simples, comme toujours. En ces matières, la vérité en effet ne saurait être que policière. Il suffira donc de relayer les doléances des uniformes. Yvan Perrin en a choisi un comme au hasard, un peu président suisse quand même des fonctionnaires de police. Mais attention pas nationaliste pour un sous, affirme le neuchâtelois pour mieux sanctifier les propos de Jean-Marc Widmer. Qui se résument d’ailleurs à un mot choc et familier: passoire. La frontière comme on sait ne retient plus rien, et ce ne sont plus que déferlements «d’armes, de drogues, de gangs lyonnais et de bandes de Roms». Le terrain c’est comme la terre, ça ne ment pas, l’affaire est entendue. Autant donner tout de suite les clefs du ménage à la police.
Côté Vert, on s’essaye à dégonfler tout ça en utilisant un angle de tir bien connu: l’évanescence des statistiques. 237’000 cambriolages en 2012 certes, mais c’est moins que sous Blocher en 2004, 61’000 cambriolages, mais 80’000 en 1998. Bref, relève le zurichois Balthasar Glaettli, la criminalité a toujours «oscillé». Que tout change, tout le temps, serait une bonne raison de ne rien changer: tel est le credo d’un certain conservatisme de gauche en matière de sécurité. Les chiffres eux non plus ne mentent pas, autant se laisser gouverner par un logiciel efficient. Et tant pis pour le vieux bon mot de Mark Twain comptabilisant «trois sortes de mensonges: les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques».
Les radicaux, eux, avec leur étroit pragmatisme coutumier, brandissent les trois tables de la loi — bilatérales, loi sur les étrangers, loi sur l’asile — qu’il suffirait d’appliquer à la lettre. Pour arriver, comme Isabelle Moret, à cette forte conclusion: «Les étrangers sans titre de séjour doivent rentrer chez eux.» Autant désigner La Palice président à vie.
Le PS lui chante les vertus de cette huitième merveille du monde: l’Espace Schengen. Qui aurait pour spectaculaires et bénéfiques conséquences, comme l’a rappelé Carlo Sommaruga, «des contrôles renforcés aux frontières…», ajoutant comme à voix basse: «… extérieures». Et aussi, imagine-t-on cela, «une collaboration policière entre pays d’une intensité jamais atteinte». Schengen étant une cause juste, on se contentera donc de la célébrer plutôt que de la discuter. Autant alors abandonner toute souveraineté aux Seigneurs de Bruxelles.
Le PDC enfin ne rompt pas avec son habitude de se laisser porter par le vent. Comme la police, comme l’UDC, il plaide, par la voix du tessinois Marco Romano, pour un renforcement des gardes-frontières et la réouverture de postes fixes. Autant réélire Blocher.
Chacun étant resté fidèle à lui même, à ses marottes, ses fantasmes, ses mots d’ordre et ses préjugés, les résultats ont été disparates. Oui à des tests ADN sur les requérants — proposition de Darbellay, qui sur ce coup a réussi à gronder plus fort que le vent — mais non à une suppression des regroupements familiaux. Non à la dénonciation des accords Schengen, mais oui à l’augmentation des gardes-frontières, etc.
Une sorte de bouillabaisse donc, qui ne fait pas vraiment une politique de sécurité. Un bricolage plutôt, au jour le jour, tentant bien artificiellement de concilier fermeté et humanité et échouant probablement à atteindre à l’une et à l’autre.