KAPITAL

La collecte de dons, un business comme les autres

Vous les voyez tous les jours dans la rue. Pour le compte d’ONG comme le WWF et Pro Infirmis, la société Corris envoie dans les rues des jeunes démarcheurs susciter la générosité des passants grâce à des méthodes commerciales rodées.

«Auriez-vous une minute? C’est pour une bonne cause.» À côté de son stand mobile à l’effigie d’une oeuvre d’entraide suisse, Stéphanie présente tous les signes d’une militante convaincue. Seulement voilà, la jeune femme de 22 ans n’est pas une gentille volontaire bénévole. Elle officie en réalité pour Corris, une société zurichoise qui génère des bénéfices en envoyant dans les rues des démarcheurs — hardiment baptisés «dialogueurs» — récolter de nouveaux donateurs pour le compte d’ONG.

WWF, Pro Infirmis, Swissaid, Helvetas, Amnesty International… Soumises à une concurrence croissante, de plus en plus d’organisations de bienfaisance — 35 à l’heure actuelle — font appel aux services de Corris, qui opère sur l’ensemble du territoire suisse. «Corris nous rapporte plus de 5000 adhérents chaque année depuis bientôt dix ans, détaille Pierrette Rey, porte-parole du WWF Suisse. Chacune de ces personnes verse en moyenne environ 100 francs par an et 60% d’entre elles restent membres pendant au moins cinq ans.»

Helvetas possède aussi une collaboration de ce type. «Nous gagnons en moyenne 2 à 3 millions de francs par an grâce aux membres recrutés dans la rue par Corris», révèle Liliane Eggli, responsable de la levée de fonds.

Pour atteindre ces résultats, les recrues de Corris — environ 1000 personnes, avant tout des étudiants, sans travail fixe ou frontaliers — emploient des méthodes de marketing rodées. «Avant de commencer, nous recevons une formation d’une journée sur la meilleure manière d’aborder les passants, raconte Stéphanie. On nous explique qu’il faut d’abord essayer d’obtenir des dons élevés et abaisser la somme en cas d’hésitation. Il faut travailler vite, se présenter d’une façon positive et parler au plus grand nombre.»

Un objectif confirmé par le directeur de Corris, Baldwin Bakker: «Nos dialogueurs ont la mission d’aborder le plus de personnes possible de tout âge. Même si la plus grande part de leur salaire, soit environ 4000 francs par mois, est fixe et ne dépend pas de leur performance.»

La société offre toutefois un bonus en fonction du nombre et de la «qualité» des nouveaux donateurs. «En 2011, le bonus moyen s’est élevé à environ 15% du salaire.» Selon Stéphanie, les dialogueurs qui ne rapportent pas assez d’adhérents par jour se font très rapidement mettre à la porte. «C’est stressant. Nos chefs de groupe nous appellent parfois sur nos portables pendant la journée pour contrôler que les quotas soient respectés. Tous les jours, de nouveaux collaborateurs arrivent et d’autres partent, car beaucoup ne sont pas faits pour ce job.»

Les ONG pourraient-elles faire appel à des bénévoles pour la récolte de dons? «Travailler avec une société comme Corris nous permet de fixer des objectifs, demander des prestations et attendre des résultats, ce qui ne serait pas possible avec des bénévoles, répond Pierrette Rey. Nous devons utiliser nos ressources financières de la manière la plus efficace possible.»

Helvetas a étudié la possibilité d’internaliser la recherche de donateurs. «Ce travail implique un savoir-faire spécifique et n’est pas simple à mettre en oeuvre, explique Liliane Eggli. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était moins cher de mandater Corris, tout en sensibilisant nous-mêmes des dialogueurs à notre thématique et en effectuant des contrôles réguliers.» Selon le directeur de Corris, il faut un à deux ans à ses clients pour rembourser le coût d’une campagne grâce aux dons des nouveaux adhérents.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.