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Succession Maudet: la passionaria et le bon garçon

Les citoyens s’apprêtent à élire le successeur de Pierre Maudet au Conseil administratif de la Ville. Parmi les candidats, Salika Wenger (Parti du travail) et Guillaume Barazzone (PDC), que tout oppose. Portraits contrastés.

Le jour et la nuit, ou la pluie et le beau temps, tous les opposés sont bons pour les décrire: Guillaume Barazzone et Salika Wenger n’ont rien en commun. Ou presque: ils sont tous deux candidats à l’exécutif de la Ville de Genève. A la suite du départ de Pierre Maudet pour le Conseil d’Etat en début d’été, les Genevois devront élire le 4 novembre prochain leur nouveau conseiller administratif. A leurs côtés, deux autres candidats: l’UDC Eric Bertinat et l’indépendant Didier Bonny (lire ci-dessous).

Pascal Décaillet, producteur de l’émission politique Genève à chaud sur la chaîne locale, ose la métaphore «du feu et de la glace. Salika Wenger est un véritable personnage dramaturgique! Elle est très certainement la politicienne qui s’exprime le mieux du canton. C’est une femme de très grande culture. Telle une comédienne, elle déclame comme si une audience de 200 personnes se trouve face à elle.» Un tempérament bouillonnant qui contraste avec celui de Guillaume Barazzone. «C’est un jeune garçon qui présente bien, qui connaît bien ses dossiers, mais il manque de niaque! Et pour un avocat, sa rhétorique manque de caractère et de charisme…»

Des profils si différents s’expliquent par des parcours qui le sont tout autant. Alors que Salika Wenger milite déjà dans les rues parisiennes en mai 1968 à presque 20 ans, Guillaume Barazzone voit le jour en 1982. Ce Genevois, de grands-parents italiens, grandit dans le quartier de Malagnou, entouré de parents médecins — ses grand-père et arrière-grandpère paternels exerçaient également ce métier. «Nous ne discutions pas énormément de politique en famille. De par leur profession, mes parents étaient en contact avec toutes les classes de la société, de l’ouvrier au diplomate. A mon frère et à ma sœur, des jumeaux de 29 ans, et à moi, ils ont toujours rappelé que si nous avions la chance d’évoluer dans un milieu aisé, il ne fallait pas oublier les plus défavorisés.»

C’est auprès de Jean-Philippe Maitre, avocat et conseiller national PDC, décédé en 2006, qu’il développe ses réflexions politiques. «C’était l’un des meilleurs amis de mes parents. Il venait très souvent à la maison, je l’admirais beaucoup.» A 18 ans, il devient président des Jeunes PDC, avant de siéger au Conseil municipal de la Ville, puis, dès 2005, au Grand Conseil genevois. Il joue de la guitare — tous les membres de sa famille sont musiciens — au foot et au basket. A la fin de ses études de droit effectuées aux Universités de Genève et de Zurich, il obtient son brevet, après un stage au sein du cabinet de Charles Poncet, de l’ex-conseiller d’Etat socialiste Bernard Ziegler et du conseiller national PLR Christian Lüscher. «Ensuite, j’ai travaillé chez Lenz & Staehelin, et à présent chez Schellenberg Wittmer, des gros cabinets d’avocats de Suisse», souligne Guillaume Barazzone, également titulaire d’un master en droit de la Columbia University (USA).

Autre pays, autre contexte. A l’âge d’un mois, Salika Wenger quitte sa Kabylie natale pour s’installer en banlieue parisienne. Elle y restera jusqu’à ses 25 ans, aux côtés d’un père syndicaliste (CGT), employé chez Renault, et d’une mère au foyer, s’occupant de 10 enfants. «Nous vivions dans une résidence ouvrière, mais nous ne manquions de rien. C’est lorsque je suis allée dans un autre quartier au lycée, que je me suis rendu compte que nous étions pauvres!» A 7 ans, son père l’inscrit aux Vaillants, une organisation de jeunesse liée au Parti communiste français. «En fait, j’ai toujours fait de la politique. On partait en colo avec le parti… on chantait des chansons sur la mort de Lénine!»

Son métier de modéliste («je dessine et je couds des vêtements», précise-t-elle, le doigt levé) l’emmènera à travers le monde, à New York et à Rio notamment. C’est au Brésil qu’elle rencontre le Genevois Nicolas Wenger. Elle l’épouse et le suivra à Genève dans les années 1980. «Un homme de gauche! Je n’aurais pu me marier qu’avec un homme de gauche. Je suis de gauche, je suis incapable de lire la société de manière différente.»

Présidente de la section genevoise de l’association Ni putes ni soumises, Salika Wenger, féministe convaincue, lutte depuis toujours aux côtés des minorités, poussée par «ces injustices qui l’ont toujours révoltée»: membre du conseil administratif de l’association homosexuelle Dialogai pendant des années, elle a aussi œuvré auprès des femmes du Gouvernement iranien en exil. De son côté, Guillaume Barazzone soutient l’allègement fiscal pour les start-up, la construction d’écoquartiers ou encore l’introduction du bilinguisme dans des classes du canton…

La pugnacité politique que l’on attribue à Salika Wenger, passionaria au franc-parler, plaît autant qu’elle agace. «Elle peut parfois se montrer très colérique, note la socialiste Loly Bolay. Elle s’est d’ailleurs disputée avec ses propres rangs et a claqué la porte du parti Solidarités, de l’Alliance de gauche et du Parti du travail, avant d’y revenir.»

Aujourd’hui, sa candidature n’est d’ailleurs soutenue ni par les socialistes ni par les Verts. Pour éviter un gouvernement monocolore, ont-ils dit — les quatre élus en fonction étant de gauche. Une «candidate folklorique incapable de se maîtriser et de s’intégrer dans un conseil administratif» glissent, anonymement, certains de ses pairs. «C’est un personnage haut en couleur, une excellente parlementaire. Il est vrai que son profil n’est pas celui que l’on trouve d’ordinaire au sein d’un exécutif», reconnaît le socialiste Grégoire Carasso, qui siège à ses côtés au Conseil municipal.

Sur Guillaume Barazzone, les politiques interrogés aiment à répéter qu’il est «un bon garçon». Le PLR Christian Lüscher le décrit comme «vif d’esprit et plein de ressources», ajoutant qu’il «devra se faire les dents sur le tas». Pour rappel, l’avocat PDC représente le candidat unique de l’Entente — les libéraux-radicaux ayant choisi de ne pas revendiquer ce siège.

«Il est très à l’écoute et ouvert au dialogue, estime Thomas Putallaz, président du PDC de la Ville de Genève. Il est actif politiquement depuis près de 15 ans, ses compétences sont indéniables.» A gauche, les commentaires sont plus sévères: expérience insuffisante, manque de carrure politique et attitude dilettante le caractériseraient. «Un bel avenir politique lui est destiné mais pour l’instant, il ne me semble pas prêt à assumer ce type de responsabilité», dit Loly Bolay.

«La population risque d’être séduite par l’image de gendre idéal qu’il renvoie et qu’il affiche sur tous les trams depuis quelques semaines, mais il n’est pas un candidat enthousiasmant, regrette Pascal Décaillet. Il ne ressemble en rien à Pierre Maudet, le seul point commun étant leur jeune âge.»

A voir si les Genevois éliront, pour l’avenir de leur sécurité, le charisme extravagant d’une féministe soixante-huitarde, ou l’esprit vif et conciliant d’un jeune avocat, qui a encore beaucoup à prouver…
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Un UDC et un indépendant aussi en lice

Didier Bonny, 48 ans, a surpris en déposant sa candidature à la dernière minute. Directeur d’école, président du Groupe sida Genève et ancien membre du PDC, il se présente en indépendant. De sa longue carrière politique, les Genevois retiennent des idées de droite à tendance sociale. Il fait ainsi figure de «candidat du compromis» pour beaucoup d’électeurs hésitants, car ni trop à gauche, ni trop à droite — clairement moins que Guillaume Barazzone. Il pourrait créer la surprise.

En lice également, l’UDC Eric Bertinat, 56 ans, député au Grand Conseil. En sa défaveur: des valeurs et des propos conservateurs parfois choquants. En 2007, il déclarait publiquement que «les homosexuels n’apportent rien à la société car ils sont incapables de se reproduire». Sa candidature est soutenue par le MCG.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.