TECHNOPHILE

La Suisse à la pointe des nanotechnologies

Les nanotechnologies arrivent dans les produits de grande consommation. Un gigantesque marché qui pourrait profiter à la Suisse, tant le pays est bien positionné.

Les nanotechnologies? Il y en a un peu partout et ça ne fait que commencer! «Elles sont présentes dans tous les domaines d’activités, du textile à la peinture en passant par l’électronique et les cosmétiques, explique Marc Pauchard, responsable du transfert de technologies à l’Institut Adolphe Merkle à Fribourg. Et elles seront de plus en plus intégrées dans de nouveaux matériaux et pour de nouvelles applications.»

De quoi s’agit-il? Les nanotechnologies sont des matériaux dont la taille avoisine le nanomètre (généralement inférieure à 100 nanomètres), soit un millionième de millimètre. En 2007, le projet Emerging Nanotechnologies identifiait déjà plus de 500 produits de consommation fondés sur des nanotechnologies. «Jusqu’à présent, les nanos sont surtout des nanomatériaux utilisés dans le sport, les gadgets, le textile, l’informatique ou encore les revêtements autonettoyants de l’électroménager, explique Philippe Fischer, directeur de la Fondation suisse pour la recherche en microtechnique (FSRM) et organisateur de la Swiss Nanoconvention du printemps 2012 à Lausanne. L’avenir sera dans les sciences de la vie avec des tests diagnostiques, l’énergie avec des cellules solaires plus performantes et l’environnement notamment dans la purification de l’eau.»

Bien sûr, on reste loin des promesses vertigineuses faites par les futurologues anticipant la création de nano-robots. «Entre les promesses et leur réalisation, il se passe toujours beaucoup de temps, sourit Marc Pauchard. Les nano-machines sont extrêmement complexes. Il faudra être patient avant de les voir arriver sur le marché.» En attendant, les nanos offrent déjà de nombreuses applications à court terme. Selon les estimations de l’OCDE, le marché global des produits issus des nanotechnologies atteindra 1’000 milliards de dollars dès 2015.

«Sur ce marché en devenir, je pense que la Suisse est extrêmement bien placée. Il faut se souvenir que le pays est pionnier dans ce domaine avec le centre de recherche IBM/EPFZ à Rüschlikon», raconte Philippe Fischer. Avec ses nombreux instituts de recherche (EPFL, EPFZ, Adolphe Merkle Institute, CSEM, EMPA, etc.), la Suisse est à la pointe de la recherche fondamentale. La forte implication des HES lui permet désormais de monétiser cette avance en favorisant le transfert de technologies.

A Bâle, la plateforme i-net Basel Nano a développé une méthodologie pour identifier de manière systématique les PME susceptibles d’être intéressées par ces nouvelles technologies. Idem à Fribourg, avec le réseau nano-net.ch. «Notre objectif est de permettre aux entreprises d’avoir accès aux nanotechnologies, explique Marc Pauchard. Certaines sont au courant des avancées scientifiques et viennent directement nous voir. D’autres, au contraire, pourraient bénéficier de cette technologie mais ne se rendent pas compte du potentiel. Notre challenge est d’approcher ces sociétés. Mais ce n’est pas évident. Il y a des réticences. Pourtant, nos études de marché ont montré que pratiquement tous les secteurs d’activités peuvent profiter des nanotechnologies.»

Avec des résultats probants. Par exemple, depuis avril 2011, une ligne de vêtement de la marque Levi’s intègre Nanosphere, une technologie propriétaire du fabricant de tissus helvétique Schoeller (à Sevelen, SG) qui renforce l’imperméabilité du tissu. Dans d’autres domaines, Spirig Pharma (à Egerkingen, SO) vend des crèmes solaires contenant des nanoparticules d’oxyde de titane et Frewitt (FR) commercialise des machines de fabrication de nanoparticules. «Il est difficile de recenser les entreprises qui utilisent les nanotechnologies, car ce terme regroupe tout et n’importe quoi, prévient toutefois Marc Pauchard. La plupart du temps, les nanotechnologies ne concernent qu’une petite partie d’un procédé industriel complexe et ne se retrouvent pas dans le produit final, comme c’est le cas des polymères renforcés avec des nanoparticules.»

«Jusqu’à présent, l’utilisation des nanotechnologies par les entreprises demeure assez confidentielle, estime d’ailleurs Philippe Fischer. Et il est difficile de savoir quand l’industrialisation va exploser.» D’autant que les consommateurs commencent à s’inquiéter de l’arrivée des nanos dans les produits de grande consommation. «Les chercheurs ont conscience du risque toxicologique, rassure Marc Pauchard. A Fribourg, nous nous intéressons à l’interaction entre nanoparticules et poumon. Mais cette interaction ne dit rien a priori de la dangerosité. Cela dépend du type de nanoparticules. Certaines provoquent des inflammations similaires au tabac, quand d’autres ont un effet bénéfique en diminuant l’asthme, par exemple.

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«Créer de nouvelles propriétés»

Grâce aux nanotechnologies, les scientifiques parviennent à conférer de nouvelles propriétés et fonctions aux matériaux. Explications du spécialiste Mirko Croci*.

Que sont les nanotechnologies?

C’est un terme très à la mode et il est bon d’en préciser à nouveau le sens. Le préfixe «nano» indique simplement qu’il s’agit de technologies à l’échelle du milliardième de mètre, que l’on qualifie également d’échelle mésoscopique. Pour faire simple, on peut diviser (par la pensée!) le monde en trois domaines dimensionnels différents. Il y a d’abord le monde macroscopique qui désigne les grands objets, ceux qui sont à échelle humaine. Puis le monde microscopique, celui des petits objets tels que les atomes et les molécules. Le monde mésoscopique est, quant à lui, à une échelle intermédiaire, comprise entre les échelles microscopique et macroscopique. Les objets qui le peuplent sont constitués de quelques milliers d’atomes et sont donc caractérisés par des diamètres de l’ordre du nanomètre justement. C’est ce que l’on désigne sous le terme de nanotechnologies.

A quoi sert cette miniaturisation? Après les nanotechnologies, les ingénieurs travailleront-ils à des échelles encore plus petites, à l’échelle microscopique, par exemple?

L’intérêt des nanotechnologies n’est pas tant dans leur taille, que dans les propriétés différentes que les matériaux acquièrent à ces dimensions. Par exemple, si vous augmentez régulièrement la tension électrique appliquée aux deux extrémités d’un câble en cuivre traditionnel (macroscopique), vous allez également observer un accroissement régulier du courant qui le traverse. En revanche, dans un fil mince, dont le diamètre serait de l’ordre de quelques nanomètres, cet accroissement se fera brutalement et par paliers: c’est typiquement un effet mésoscopique, dû à l’émergence des propriétés quantiques de la matière.

Les ingénieurs et scientifiques travaillent déjà depuis des décennies dans le domaine microscopique afin d’exploiter les propriétés de la matière à cette échelle. L’ingénierie chimique, par exemple, met en jeu depuis longtemps des processus qui se déroulent à une échelle de l’ordre du dixième de nanomètre. Un autre exemple est l’énergie nucléaire. Les réactions qui la caractérisent ont lieu à une échelle 1 million de fois plus petite que celle des nanotechnologies.

A quoi peuvent servir ces propriétés mésoscopiques?

Les applications sont fort nombreuses, il suffit de parcourir le web pour s’en rendre compte (produits cosmétiques, matériaux d’emballage, alimentation, médecine, générateurs thermo­électriques, etc.). Je me limiterai à citer un exemple que je considère particulièrement significatif du point de vue de la césure technologique que peuvent apporter les propriétés mésoscopiques des matériaux nanostructurés. Il s’agit de la conception d’une nouvelle génération de tubes à rayons X dont les prix défieront toute concurrence lorsqu’ils seront au point. Les tubes RX sont à la base des appareils de radiographie utilisés aussi bien en médecine que pour la sécurité, notamment dans les aéroports. Le principal défaut des tubes RX actuels réside dans l’utilisation d’un filament très chaud pour produire le faisceau d’électrons indispensable à la génération des rayons X. Ce filament ressemble à celui de nos anciennes ampoules à incandescence: il finit par «brûler» tôt ou tard. La substitution d’un tel organe coûte actuellement environ le quart du prix du tube RX complet (environ 20’000 francs). La nanotechnologie permet de résoudre ce problème. En exploitant les propriétés mésoscopiques de petites particules de fer ou de nickel, on peut faire croître sur le filament des nanotubes de carbone, sorte de petits «poils» longs de quelques micromètres et dont le diamètre est de quelques dizaines de nanomètres. Or, ces objets possèdent la remarquable propriété d’émettre des électrons sans avoir besoin d’élever leur température. Le filament n’a donc plus besoin d’être chauffé et par conséquent il ne brûlera jamais. Ainsi, le remplacement du filament n’est plus nécessaire et la durée de vie du tube à rayons X s’en trouve de ce fait considérablement allongée.

Les nanotechnologies sont-elles dangereuses pour notre santé?

Beaucoup de produits, que nous employons au quotidien, sont potentiellement dangereux. Cela ne nous empêche pas de les utiliser, car nous avons appris à prendre les précautions qui s’imposent. Prenons le cas de l’essence: c’est un produit toxique, volatile et hautement inflammable. Aucun de nous n’a cependant de problèmes à faire le plein dans une station-service.

Il en est de même avec les nanotechnologies: si elles sont bien utilisées, avec toutes les précautions nécessaires, elles ne sont pas plus dangereuses qu’autre chose. Comme le disait François Rabelais: «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.» Il est bon, me semble-t-il, d’appliquer cet adage non seulement aux nanotechnologies mais également, et je ne cite là que deux exemples emblématiques, à l’énergie nucléaire et aux expériences de manipulation génétique.

* Directeur du Laboratoire d’application de la physique pour les technologies émergentes au Centre d’études et de transferts technologiques de la HEIG-VD.

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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 3).