LATITUDES

En couple au bordel

Les prostituées doivent répondre à des demandes de plus en plus crues, souvent inspirées par l’industrie pornographique. Le triolisme fait également recette. Témoignages de professionnelles du secteur.

«Depuis cinq ans, les clients qui exigent une fellation veulent du naturel, c’est-à-dire sans préservatif, et pouvoir aller jusqu’au bout: une fellation complète avec éjaculation dans la bouche ou sur le corps de la fille.» Lisa, patronne du Venusia, le plus grand salon érotique de Genève, n’a cessé de voir les demandes de ses clients évoluer: «Lorsque j’ai commencé il y a près de vingt ans, les caresses buccales n’étaient qu’un simple préliminaire avant l’acte sexuel. Désormais, aller jusqu’à l’éjaculation obnubile les hommes. Je pense que c’est l’influence des films pornos, dans lesquels cette pratique est systématique, qui les pousse à fantasmer là-dessus.»

Autre changement constaté par Lisa: fellation et sodomie ont pris le relais de la pénétration simple. «A mes débuts, la sodomie était une requête assez rare chez les clients et peu de prostituées acceptaient de la faire. Désormais, c’est l’une des pratiques les plus prisées, que même des filles de 18 ans proposent.» «Il est vrai que la sodomie est vraiment à la mode, confirme Leyla Castaldi, directrice de l’agence Elégance à Genève. Plus les années passent et plus les hommes ont envie d’essayer.»

Malgré ces nouveaux penchants, «les attentes des hommes restent encore assez simples, estime Lisa. Ils ne viennent pas chercher dans notre salon des actes extraordinaires. Le sadomaso, par exemple, est relativement peu sollicité.» Pour Leyla Castaldi, le premier fantasme des hommes demeure le dress code: «Le visuel est très important pour nos clients. Ils souhaitent de très belles filles, très glamours, qui ressemblent à celles qui s’affichent en photo dans les magazines. La lingerie, les bas, les jarretelles et les talons aiguilles sont ainsi très demandés. Certains clients me décrivent dans les moindres détails les vêtements qu’ils désirent voir portés par la fille. Et c’est indispensable de ne pas les décevoir.»

Toujours pour satisfaire leur clientèle, les prostituées se doivent d’accepter aussi le french kiss. «Avant, les filles n’embrassaient pas sur la bouche par principe, explique Daniel, patron de Switzescort à Genève. Aujourd’hui, le baiser avec la langue est désiré par la plupart des clients car cela représente le summum de l’intimité.»

Dans les salons du Venusia, entre 30 et 80 clients défilent chaque jour. Ils ont entre 16 et 90 ans et viennent, pour certains, accomplir l’un de leurs fantasmes: le triolisme. S’il est fréquemment demandé, ce n’est cependant plus seulement par les hommes. «Il y a vingt ans, c’était deux filles pour un client, raconte Lisa. Aujourd’hui, c’est une fille pour un couple de clients. Et de plus en plus souvent. Au début, les femmes nous disent qu’elles font ça pour leur conjoint, pour lui faire plaisir ou lui faire un cadeau. Mais on s’aperçoit souvent que c’est également pour elles, dans la façon avec laquelle elles prennent l’initiative, caressent et finalement accèdent au plaisir.»

Néanmoins, si quelques femmes acceptent de se rendre au bordel pour satisfaire les fantasmes de leur homme, et au passage les leurs, elles sont encore peu nombreuses à franchir le pas pour elles-mêmes. Les relations saphiques demeurent une demande marginale dans les salons et les escort boys ne font pas recette: la seule idée qu’une femme paie un homme pour la bagatelle ou pour réaliser ses fantasmes reste taboue.

Si le livre Fifty Shades of Grey, surnommé «le porno pour maman», connaît actuellement un succès phénoménal avec 30 millions d’exemplaires écoulés, il le doit principalement à l’avènement du livre électronique. Abritées derrière leur liseuse, les femmes peuvent à volonté rejouer discrètement les scènes de sexe du roman, avec l’air absorbé de celles qui lisent du Rousseau. Se plonger dans le même ouvrage en version papier à la terrasse d’un café reste-t-il, pour elles, un fantasme impossible à réaliser?

Matthieu, escort boy à Genève qui pratique les massages soft, mais pas d’acte sexuel, confie: «Beaucoup de femmes me racontent leurs fantasmes. Elles rêvent de sexualité avec plusieurs hommes à la fois ou d’une relation avec une autre femme. Mais elles se sentent coupables d’avoir des songes aussi osés. Elles me demandent souvent si c’est normal de penser cela, si d’autres femmes ont les mêmes rêves. J’essaie de les rassurer.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.