La SSR veut se séparer de sa chaîne de radio anglophone. Comment expliquer un tel revirement stratégique? Analyse et réactions.
Relève-t-il du service public suisse de financer une radio en langue anglaise? La SSR répondait «oui» en 2007, en reprenant la chaîne lémanique World Radio Geneva (WRG), pour créer World Radio Switzerland (WRS), le premier média diffusant, en anglais et sur l’ensemble du territoire helvétique, des informations sur la vie politique, économique et culturelle suisse. L’audiovisuel public se rétracte aujourd’hui et envisage de se séparer de la chaîne anglophone, soit en la supprimant, soit en la privatisant. Une décision définitive devrait être prise par le conseil d’administration de la SSR cet été.
C’est tout ce que sauront jusqu’en juin les employés de la chaîne (près de 25 personnes) ainsi que ses auditeurs (plus de 72’000 réguliers, selon Radiocontrol). Rien ne filtre du côté de la direction. Sollicité à plusieurs reprises par L’Hebdo, Roger de Weck, directeur général de la SSR, a refusé de s’exprimer sur sa nouvelle stratégie en la matière.
C’est pourtant lui, ancien président de l’Institut de hautes études internationales (HEI) et fervent défenseur de la Genève internationale, qui a réuni au début du mois d’avril les employés pour les avertir que la direction revoyait son offre de programmes et que WRS n’en faisait plus partie. Daniel Steiner, porte-parole de la SSR, précise seulement que «WRS n’atteint qu’un petit public, uniquement en Suisse. Contrairement à d’autres offres « internationales » du service public telles que TV5 Monde et la plateforme Swissinfo.ch, qui contribuent à la promotion de l’image de la Suisse à l’étranger.»
«Tout le monde spécule à l’interne sur les motivations d’une telle remise en question, raconte un collaborateur contraint de garder l’anonymat. Je mise sur des raisons politiques. La SSR subit souvent des attaques sur son soutien à une chaîne « consacrée aux expatriés », ces personnes que l’on accuse d’être la cause de la crise du logement ou de la saturation des transports publics… En s’en débarrassant, la direction souhaite certainement se mettre à l’abri de ces critiques.»
Les détracteurs de WRS l’accusent effectivement d’être une radio communautaire destinée aux étrangers anglophones, paresseux face à l’apprentissage des langues nationales — et donc peu enclins à s’intégrer.
A ces attaques, le publicitaire genevois Pedro Simko répond que «les étrangers ne sont pas les seuls à écouter cette chaîne qui offre des programmes de qualité. D’autant plus que, aujourd’hui, la réalité est telle que la seule vraie langue nationale est l’anglais. Il faudrait lancer un référendum afin que les Suisses puissent s’exprimer et déterminer s’il est d’utilité publique de diffuser une chaîne en anglais, suggère-t-il. Arrêter la diffusion de WRS ne peut pas être une décision prise que par quelques personnes à Berne.»
Le conseiller national UDC Yves Nidegger voit ce choix comme une stratégie politique. «Face à la pression sur la nécessité d’optimiser ses coûts, la SSR utilise comme alibi la cible la plus faible, d’un point de vue électoral, pour protéger celles qui devraient être éliminées en priorité. Il faut certes dégraisser l’énorme mammouth que représente cette entreprise publique — 8 chaînes télé et 16 pour la radio — mais WRS n’est pas la partie à laquelle il faut s’attaquer en premier. Elle a une spécificité par rapport à d’autres chaînes et s’adresse à une communauté anglophone parfaitement intégrée d’un point de vue économique.»
Auditeurs, entreprises et personnalités publiques se sont mobilisés pour soutenir la chaîne. Sur le blog The future of WRS, Corinne Momal-Vanian, directrice du service de l’information des Nations Unies, rappelle qu’«aucun autre média ne contribue autant à l’intégration des étrangers en Suisse, peu importe leur langue maternelle». Une pétition, qui a déjà recueilli plus de 1500 signatures, circule sur l’internet. Des multinationales ou organisations internationales telles que l’UICN et Cargill encouragent leurs collaborateurs à la signer.
«Lorsque j’ai appris l’éventuelle suppression de WRS, j’ai immédiatement adressé un courrier à Roger de Weck et à Raymond Loretan, président de la SSR, dit Ivan Pictet, président de la Fondation pour Genève. Nous demandions une possibilité de rencontre pour obtenir des explications. Une réponse favorable vient de nous parvenir.» La Chambre du commerce américano-suisse ou encore la promotion du Luzern Business Development ont également manifesté leur soutien à la chaîne.
«Si toutes ces personnes tiennent autant à cette radio, pourquoi ne la financent-elles pas? s’interroge le libéral-radical Philippe Nantermod. L’argent du contribuable suisse n’a pas à soutenir un média destiné à un cercle restreint d’étrangers dans seulement quelques cantons. Est-ce que le service public doit subventionner un média en albanais? Ce n’est pas une langue nationale, tout comme l’anglais.»
Selon WRS, le coût annuel de la chaîne s’élève à 3,1 millions — ce qui représente une proportion microscopique de son budget de 1,6 milliard (0,2%). Mais la SSR ne confirme pas ces chiffres qui, s’ils sont vrais, peinent à justifier un assassinat de la chaîne pour des motifs économiques…
Le porte-parole Daniel Steiner indique uniquement que «les chiffres publiés ces derniers jours dans les médias sont faux», mais refuse d’en dire plus. On peut s’étonner d’une telle opacité de la part d’une institution financée par l’argent d’une redevance obligatoire payée par les citoyens. L’arrivée d’un éminent journaliste, Roger de Weck, à sa tête aurait pu laisser espérer davantage de transparence, tant au niveau des chiffres que de la stratégie de programmes.
L’option de la privatisation de WRS impliquerait de trouver des investisseurs prêts à la subventionner. A son lancement en 1996, la station anglophone possédait déjà des actionnaires privés: l’agence britannique Reuters et le défunt Journal de Genève. Les chiffres restaient dans le rouge, ce qui a poussé Reuters à vendre ses parts à la BBC en 2000. Les actionnaires ont continué de perdre de l’argent jusqu’à ce que la SSR rachète entièrement la chaîne en 2007.
«La réflexion engagée par la SSR est légitime», estime la conseillère aux Etats vaudoise Géraldine Savary. La socialiste rappelle que, en 2007, le groupe Edipresse avait lancé un site en anglais afin que les expatriés s’informent sur les réalités politiques, sociales et économiques suisses. «Une étude a rapidement démontré que ce type de prestations ne les intéresse pas, ils préfèrent lire la presse anglophone. Il faut trouver un financement alternatif à WRS.»
Pour l’UDC zurichoise Natalie Rickli aussi, cette offre publique en anglais n’a pas sa raison d’être. «La SSR finance déjà la plateforme Swissinfo, qui diffuse de l’information sur la Suisse dans plusieurs langues, dont l’anglais.»
Le manque de soutien politique va-t-il achever WRS? Réponse cet été.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.